Au nom d’une nationalité que nous n’avons pas choisie, mais que nous n’arrivons pas non plus à récuser carrément, les élections présidentielles puis législatives nous ont entraînés loin de notre territoire et de nos enjeux propres, sans pour autant déboucher sur l’Europe qui est aujourd’hui notre grande patrie. En ce début réel d’année, remettons nos pendules à l’heure locale, semi-solaire. Sarkozy est parti brusquement, Hollande est arrivé au petit trot : je ne m’en plains pas, mais l’antisarkozysme ne saurait tenir lieu de politique générale, encore moins de politique basque. Où en sommes-nous de nos aspirations face au nouveau pouvoir parisien?
En matière d’institution territoriale, Hollande n’a rien promis. Quant à moi, n’ayant guère participé depuis des années aux débats internes sur ce thème, je le laisse à des plumes plus autorisées. Militant de la langue basque depuis plus d’un demi-siècle, je me limiterai ici à ce domaine de compétence. Hollande a promis de ratifier la Charte européenne des langues minorisées. Ce serait un pas en avant, mais pas un exploit ni une panacée. L’opinion générale des parlementaires semble favorable. En juin 2008, à l’initiative du gouvernement Fillon, un débat très intéressant eut lieu à l’Assemblée nationale: l’on y entendit des discours positifs et consensuels qui contrastaient agréablement avec les propos caricaturaux tenus dans les cuvées précédentes par les partisans attardés de la langue unique. Les langues dites «régionales» faillirent entrer dans l’article 1 de la Constitution française. C’était trop beau et de plus maladroit, car la langue française n’apparaît que dans l’article 2! A l’initiative de Giscard d’Estaing, académicien et sénateur, l’Académie française sonna la charge, et le Sénat décapita la proposition des députés. Finalement les langues «régionales» furent donc reléguées dans un article obscur et lointain de la Constitution, qui ne donne aucun droit à leurs locuteurs. L’on reste dans la sempiternelle tradition jacobine qui impose une lecture réductrice des textes les plus équilibrés, voire girondins. C’est ainsi que la République française a longtemps refusé une législation ouvrière, puis une évolution féministe, pour ne pas accorder à certains citoyens des droits que les autres n’auraient pas! Mais qui interdirait aux Champenois, Tourangeaux ou Poitevins d’apprendre par exemple la langue d’Oc qui couvre plus du tiers du territoire métropolitain? Elle les sortirait de leur fichu monolinguisme, si préjudiciable par exemple à l’équilibre de leur balance commerciale…
Donc la Charte européenne, évidemment. Mais elle ne suffira pas. Et d’abord sa ratification nécessitera une modification de la Constitution. A cette occasion, pourquoi ne pas amender le fameux article 2, en y associant les langues «régionales» à «la langue de la République»? Cette proposition fut faite en 1992 lors du débat précédant le vote de cet article, mais les rapporteurs Dubon et Lamassoure prétendirent que leur texte ne menaçait nullement les langues «régionales», ce que les faits ont cruellement démenti par la suite, au nom d’une lecture toujours ultra-jacobine. On reste légalement dans la langue non pas commune (acceptée par tous), mais unique, interdisant toutes les autres dans la vie officielle, voire dans l’espace public. Par exemple les panneaux routiers bilingues largement tolérés en Bretagne et au Pays Basque, sont périodiquement interdits dans certains lieux occitans…
Pourtant les langues «régionales», à défaut d’être pour le moment officielles, sont devenues généralement officieuses, mais elles ne bénéficient d’aucune protection légale, si ce n’est dans l’enseignement la très minimaliste loi Deixonne qui date de 1951! Un gouvernement autoritaire ou mal intentionné pourrait interdire d’un trait de plume la plupart des espaces gagnés ces dernières décennies par lesdites langues. Leur officialisation est donc nécessaire par la Constitution qui légitime leur usage (et pas seulement comme en 2008 leur caractère passivement patrimonial), puis par une loi-cadre qui les soutienne dans la pratique.
Mais comment pousser un gouvernement français à franchir ce pas? Les efforts acharnés des mouvements culturels et du RPS, si nécessaires, n’y suffiront peut-être pas. Donc comment populariser nos revendications sur l’ensemble des territoires de la République, au point de forcer la main à ses dirigeants? Ne faudrait-il pas enrôler et mettre en avant des stars des mondes sportif, artistique, littéraire et autres qui seraient sensibles à cette cause? Comment initier, organiser et déclencher sur l’Hexagone et l’Outre-mer un mouvement de lobbying populaire et de pression massive en faveur de l’officialisation des langues «régionales»?