La politique de la tête sous l’eau

Ça y est, le verdict du tribunal suprême espagnol est tombé au sujet des listes déposées sous le sigle «Bildu» en vue des prochaines élections en Hegoalde. Si l’on pouvait alimenter quelque espoir sur une évolution favorable de la situation politique en Hegoalde, le fait est qu’on tombe de haut.

Un problème judiciaire?
À la lumière de la décision rendue par le tribunal, il me semble pourtant qu’espoir il ne fallait justement point trop avoir, car le problème dans le cas présent était judiciaire plus que politique. Bien sûr, la majeure partie de la population est pour le moins dubitative devant le respect du principe de séparation des pouvoirs politique et judiciaire dans l’État espagnol; mais cette séparation eût-elle été réelle, je pense que la décision n’aurait pas pu être différente. La question posée au tribunal était en effet celle de savoir si ces listes étaient ou non liées à Batasuna, considéré comme organisation terroriste, et si tel était le cas, de les rendre illégales. Or, malgré toute contorsion rhétorique et autre exercice de communication, il faudrait être aveugle pour ne pas voir que «Bildu» est le dernier des nombreux avatars que Batasuna a créés pour tenter de pouvoir se présenter en toute virginité à des élections. Il est logique —et pour tout dire parfaitement légitime— d’essayer d’affirmer le contraire, mais il serait naïf de le croire comme il serait naïf de penser que des juges pouvaient aussi l’avaler.
Évidemment, l’on pourrait se dire que Justice et politique en Espagne sont deux éléments d’une grande pièce de théâtre et que les juges auraient pu, sur intervention discrète du ministère de la Justice voire de l’Intérieur, faire semblant et légaliser tout ou partie de ces listes après avoir montré la fermeté d’usage devant «Sortu», cache-sexe précédent du même parti. Certes, le principe d’indépendance de la Justice en aurait pris encore un coup mais, sans lever de bien gros lièvre, c’est bien ce qui s’était déjà produit il y a quelques années… Cela pose donc la question de la gestion non pas judiciaire mais politique de la participation de Batasuna aux élections. Et si l’on se soucie de préserver un minimum la déontologie des magistrats en cherchant à éviter de leur forcer chaque fois la main, cela pose la question de la réforme de la loi des partis.

Un contexte nouveau
Il y a quelques années encore, on pouvait comprendre —à défaut de l’accepter— que le pouvoir central espagnol cherche à exclure Batasuna du jeu politique dans toutes ses dimensions, y compris électorale. ETA était actif, aucune perspective de résolution du conflit n’apparaissait, la parenthèse des négociations de Loiola n’avait représenté qu’un nouvel espoir déçu et la cohésion de la gauche abertzale «officielle» autour d’une stratégie politico-militaire ne semblait pas s’effriter. Aujourd’hui, une nouvelle trêve a été décrétée par ETA; on peut admettre que pour beaucoup, «chat échaudé crai-gne l’eau froide» mais personnellement j’ai envie d’y croire. Mais surtout, c’est le discours de Batasuna qui a connu une révolution copernicienne, tant au sujet de l’organisation armée qu’au sujet de la voie à suivre vers la résolution du conflit, qui ne saurait désormais être que politique. Cette nouvelle posture a subi l’épreuve du feu, au figuré par des déclarations et prises de position diverses, comme au propre par la réaction à l’accrochage récent d’un commando avec la police française. D’aucuns y voient de la poudre aux yeux, mais une connaissance de la culture politique de la gauche abertzale ne permet pas de douter de l’importance cardinale du pas franchi.
Alors face à cette évolution, comment réagit Madrid? Le drame est que le conflit basque est tombé au stade de simple variable d’ajustement de la politique intérieure espagnole, et que les intérêts de sa résolution passent après ceux de la guéguerre PSOE-PP pour le pouvoir. Visiblement, tant pour l’un que pour l’autre, c’est la surenchère dans la fermeté qui prévaut. Car s’il est bien un enseignement que l’Histoire nous a donné durant des siècles de conflits, c’est bien le fait qu’une paix durable ne peut s’obtenir par l’intransigeance et l’humiliation. De la simple querelle de cour de récréation à la catastrophe du traité de Versailles de 1919, chacun sait qu’une telle attitude et le sentiment d’injustice qu’elle induit n’appellent que désir de revanche.

Réformer la loi des partis
Le tribunal suprême pouvait-il légaliser «Bildu»? N’étant pas juriste, je n’en sais rien. Mais je sais qu’un nœud du problème réside dans la volonté —celle-ci politique— de réformer le fondement législatif de ces décisions, donc la loi des partis. Quel que soit le contexte, cette loi est inique; on ne combat pas une tendance politique, même jugée anti-démocratique, par moins de démocratie. Mais dans le contexte actuel, a fortiori, comment penser que le maintien dans l’illégalité de Batasuna favorisera l’adhésion de ses membres à la nouvelle ligne politique?
La situation actuelle donne un désagréable sentiment de volonté espagnole de mettre la tête sous l’eau à toute expression publique de Batasuna. En plus d’être un déni de démocratie, c’est un danger pour la recherche de la paix au Pays Basque.

Peio Etcheverry-Ainchart

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