«500 ans de résistance indienne non pas été vains. Nous sommes là, et nous disons que nous avons conquis le pouvoir pour mettre un terme à l’injustice, l’inégalité et l’oppression que nous avons subies» promettait Evo Morales, le premier président indigène de Bolivie, lors de son élection en 2005. Son combat pour la défense du mode de vie des peuples autochtones l’ont rapidement conduit à s’impliquer activement dans la lutte contre le réchauffement climatique. Après l’échec du sommet de Copenhague en 2009, il avait organisé une «Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre mère» et milité pour la création d’une «Cour internationale de justice climatique». En 2009, il parvint à faire approuver une nouvelle constitution «plurinationale» imposant une représentation de tous les peuples autochtones à l’Assemblée (pluri)nationale; quelques mois plus tard, il était réélu triomphalement. C’est pourtant ce même homme qui est aujourd’hui cloué au pilori par de nombreuses associations indigènes et écologistes…
Dans un récent article au Monde Diplomatique, le vice-président bolivien, Alvaro Garcia, théorise la baisse de popularité d’Evo Morales et l’attribue à quatre «contradictions» de la révolution bolivienne:
1) Le «gouvernement des mouvements sociaux» doit dépasser «la confrontation entre l’Etat (en tant que machine à centraliser les décisions) et le mouvement social (en tant que machine à les décentraliser et à les démocratiser)».
2) Si le mouvement révolutionnaire exige «la cohésion des classes travailleuses», sa consolidation exige aussi que «l’ensemble de la société considère que sa situation progresse lorsque ces classes dirigent le pays».
3) Depuis la réélection de M. Morales, le mouvement social converti en pouvoir d’Etat est sorti de sa «phase jacobine» défensive et des tensions en son sein naissent de «la confrontation entre l’intérêt général et celui, particulier, d’un groupe, d’un secteur ou d’un individu».
4) Le gouvernement a besoin des bénéfices engendrés par l’industrialisation, mais «toute activité industrielle a un coût environnemental».
Il est sain qu’un vice-président réfléchisse de la sorte aux orientations prises par le pouvoir qu’il soutient, et personne ne saurait nier l’inévitabilité de ces quatre «contradictions». Elles n’en exonèrent pas moins Evo Morales de toute responsabilité.
Ambiguïtés
Un projet autoroutier porté par le gouvernement bolivien est la cause directe d’une grande partie des difficultés de M. Morales et le révélateur de certaines de ses ambiguïtés. Plus de 300km de route devraient en effet relier avant 2014 les départements de Cochabamba et Beni, en balafrant le Territoire indigène et parc national Isiboro Secure (TIPNIS). Le vice-Président Alvaro Garcia a dû voir dans l’opposition à cette «priorité absolue, qui permet aussi d’offrir les services de base à des populations trop longtemps oubliées» l’archétype de la «troisième contradiction» évoquée plus haut. Mais Evo Morales a de toute évidence maladroitement exacerbé la première en court-circuitant la consultation obligatoire des réserves indigènes pour tout projet de développement sur leur territoire —une mesure qu’il avait pourtant lui-même imposée dans sa constitution de 2009! En guise de protestation, un millier d’indiens se sont mis en marche le 15 août pour rallier La Paz; le 25 septembre, cette marche était durement réprimée par la police. Devant le tollé suscité par cette mesure brutale, trois ministres démissionnaient et M. Morales annonçait la suspension du projet autoroutier.
Marche arrière
Tout porte à croire que cette suspension n’est que conjoncturelle puisque Morales était déterminé à construire cette route «que les indigènes le veuillent ou pas». Pourtant, il ne semble pas clair qu’en l’occurrence, «les bénéfices de l’industrialisation» l’emportent sur le «coût environnemental». Selon une étude de la Fondation Natura, cette route pourrait entraîner dans les 20 prochaines années la destruction de 64,5% de la couverture végétale du TIPNIS. Et les principaux bénéficiaires de cette route ne sont malheureusement pas à chercher parmi les tribus du TIPNIS, mais plutôt du côté des cultivateurs de coca et du Brésil. Les premiers pourront en effet multiplier les plantations et ne s’y trompent pas en soutenant activement le projet. Ancien représentant des cocaleros, M. Morales n’aide pas à écarter les soupçons de favoritisme en déclarant «je ne me suis jamais considéré comme le premier président indigène, mais comme le premier président syndicaliste»… A plus grande échelle, cette route initialement conçue comme composante d’un «corridor transocéanique» par le FMI permettrait au Brésil d’exporter ses produits vers l’Asie depuis des ports péruviens ou chiliens. C’est d’ailleurs une banque brésilienne qui assure son financement…
L’objectif d’Evo Morales n’est bien sûr pas de saccager son pays et de le cribler de dettes pour enrichir des puissances étrangères. Il est persuadé que cette route contribuera à la souveraineté alimentaire, une obsession qui avait déjà fait vaciller ses convictions anti-OGM en juin dernier. Devant les protestations de plusieurs organisations paysannes, indigènes et écologistes, M. Morales avait sur ce dossier aussi fait marche arrière, se contentant de créer «un comité de biosécurité pour évaluer et analyser les problèmes que posent les OGM». Evo Morales reste donc encore sensible à l’expression des mouvements sociaux qui l’ont porté au pouvoir. Puissent-ils lui servir de fil d’Ariane pour sortir de son labyrinthe de contradictions…