Le sentiment général est que l’acceptation du mandat d’arrêt européen d’Aurore Martin par le tribunal de Pau constitue un grave précédent. Cependant, il faut d’abord souligner que cela fait longtemps qu’il existe un précédent à ce précédent. Car ses dernières années des dizaines de mandats d’arrêts européens ont été exécutés par les autorités françaises contre des militants politiques d’Hegoalde. A ce titre, il faut dire et redire que l’Etat français est en infraction totale avec le cadre européen. Car, dans la décision-cadre du 13 juin 2002 qui précise les modalités d’application des mandats d’arrêts européens, il est spécifié qu’en conformité avec la Charte européenne des droits fondamentaux de l’U-nion européenne, les mandats ne peuvent être exécutés «s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que le dit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle». D’un point de vue juridique, on peut estimer que le cas d’Aurore Martin ne constitue pas un précédent, car, en tant que tel, le mandat d’arrêt européen a été pensé pour accélérer les procédures d’extradition et faciliter la remise de «ressortissants» d’un Etat à un autre au sein de l’Union européenne. Le problème de dé-part est donc lié au fait que les autorités françaises ont déjà normalisé l’usage juridique des mandats d’arrêts européens pour des faits de nature politique. Pour autant, pour Iparralde, il y a bien un grave précédent du point de vue politique. Et même si la cour de Cassation cassait la décision de Pau d’extrader Aurore Martin, on peut considérer que le précédent politique est là dans le sens où le feu vert du tribunal de Pau est bien significatif d’une décision politique des autorités françaises tendant à ouvrir la voie à l’application de ces mandats à des militants d’Iparralde. Les premiers visés sont évidemment, les militants de Batasuna et en première ligne ses responsables. Cela consiste finalement à «neutraliser» l’activité de Batasuna, c’est-à-dire à ouvrir la voie à son illégalisation de fait en Iparralde. Mais bien plus grave, si demain Aurore Martin et d’autres responsables de Batasuna sont envoyés à Madrid, il devient dans l’absolu envisageable d’extrader, par ex-emple, un journaliste dans le cadre d’une procédure espagnole comme celle contre Egunkaria, ou un élu dans une affaire comme celle d’Udalbiltza. La voie ouverte est donc aussi celle d’une possibilité d’application ici de mesures d’exception mises en œuvre par l’Etat espagnol au-delà du seul «cercle» de la militance de Batasuna; ce qui pourrait créer une situation particulièrement déstabilisante pour le mouvement abertzale en Iparralde. Enfin, comment interpréter ce pas franchi par l’Etat français à un moment où un processus de résolution du conflit semble pouvoir se mettre en route, si ce n’est comme une provocation? Et c’est finalement le même type de réflexion que formulait un responsable d’un grand parti hexagonal rencontré récemment en affirmant: «Il faut qu’ils (les autorités parisiennes) nous laissent en paix». Cela étant, on ne peut que se féliciter et remercier l’ampleur de la mobilisation contre le mandat d’arrêt européen d’Aurore Martin. Surtout, l’unanimité des prises de position qui recouvrent quasiment tout le spectre des sensibilités politiques en présence montre que l’opinion publique a pris la dimension de la gravité du précédent qui est en train de se jouer. Je pense que ceux auxquels on doit la décision du tribunal de Pau doivent être assez surpris des réactions qu’elle a suscité. Il est bien évident que dans les jours et semaines qui arrivent nous sommes obligés de rester mobilisés contre le mandat d’arrêt européen. Mais si ce qui est en jeu relève également d’une certaine forme de déstabilisation de la dynamique du mouvement abertzale, notre responsabilité est de nous donner plus que jamais les moy-ens de la renforcer en continuant à réaliser notre travail de fond et de terrain, en allant de l’avant dans le rassemblement de nos forces, et en ne perdant pas le cap des orientations que nous nous sommes nous-mêmes fixées.