«Indignez-vous!» clame le pamphlet de Stéphane Hessel. Un cri du cœur qui a toute sa résonance lorsque l’on rappelle le passé résistant et déporté de l’auteur, mais qui a un goût bien fade lorsqu’il s’abaisse si souvent au niveau de l’antienne aussi confortable et conformiste que creuse et dépourvue de conséquence dans les actes.
Inaccessible pureté
Depuis que l’être humain est être humain, il a l’indignation facile. Celle qui —comme disait Desproges— lui donne le courage de dénoncer le régime de Pinochet à moins de 5.000 kilomètres de Santiago, ou qui le fait s’ébaudir devant la révolte du peuple tunisien dès le lendemain de la fuite de Ben Ali. Moi-même qui écris ces lignes et donne des leçons de morale, j’avais eu l’occasion de faire un voyage magnifique en Égypte, il y a près d’une vingtaine d’années, alors que Moubarak était déjà au pouvoir. L’absence de libertés démocratiques ou la misère ambiante n’étaient pas parvenues à me gâcher la visite d’Abou-Simbel ou celle de Karnak, je le confesse. Choqué au début du séjour par la horde de mendiants venant harceler les touristes, sachant de manière plus ou moins floue que la presse n’était pas libre ou que le pouvoir était «autoritaire», j’avais fini par ne plus y faire attention et me concentrer plutôt sur les vieilles pierres que j’étais venu voir. De retour de là-bas, certes, je gardais en mémoire l’image de la pauvreté et me faisais fort d’en parler aux gens qui me demandaient «alors, c’était bien l’Égypte»? Mais une fois passée la minute citoyenne sur les déséquilibres sociaux de ce pauvre monde, je m’appesantissais bien davantage sur les momies et autres temples.
Je suis comme tout le monde, je n’ai pas la capacité de me lever tous les matins en m’indignant, je n’ai pas la force de me demander, au moment d’accomplir quelque acte de la vie quotidienne, s’il n’entre pas en contradiction avec l’un ou l’autre de mes principes. Je ne sais même pas s’il est possible de le faire, cette remise en question constante portant sûrement à devenir fou ou à ne plus rien faire du tout. Et que celui ou celle qui n’a jamais voyagé que dans des démocraties exemplaires, jamais acheté un produit d’une marque ayant opéré des licenciements abusifs ou bâclé son tri sélectif, me jette la première pierre. La pureté est inaccessible, seulement peut-on se contenter de faire du mieux qu’on peut. C’est pourquoi me paraissent choquants les derniers développements liés à l’affaire des voyages de ma chère collègue de conseil municipal, Michelle Alliot-Marie.
Balayer devant sa porte
D’un côté, comme tout le monde, me choquent les actes de l’intéressée et ses accointances évidentes avec les proches de l’ancien président Ben Ali, en particulier alors qu’elle est ministre. Tout a été dit sur le sujet et je n’ai rien d’intéressant à ajouter. Seulement m’interpelle le fait qu’à des niveaux aussi élevés dans les charges publiques on se sente à tel point dans l’impunité qu’on se permette de telles pratiques. C’est dire si le pouvoir peut corrompre, pervertir, faire qu’insensiblement même les plus purs —dont je ne sais si MAM en fait partie— peuvent perdre le sens de la justice et de la droiture. De cela non plus, soyons-en conscients, nous autres abertzale ne sommes pas à l’abri, car il n’y a aucune raison pour que nous soyons plus purs que les autres.
De l’autre côté me choquent aussi les réactions de l’opposition, en particulier celles de l’opposition socialiste. Nous connaissons les règles du jeu de l’action politique, qui font que l’on profite de la moin-dre occasion pour descendre son adversaire en flèche. Mais entre jouer son rôle d’opposition sur le mode du débat d’idées et profiter d’un scandale de manière quasi exclusivement opportuniste, il y a un pas que franchit allègrement le PS. Car qui peut croire que son seul souci est de savoir si les actes de MAM ont péché au regard de la moralité? En particulier alors qu’il a lui-même à balayer devant sa porte pour les années durant lesquelles il a été à la tête de l’État, et ce en matière de politique étrangère comme dans les autres domaines de la vie publique? En particulier, également, alors qu’il reste tant d’autres régimes dictatoriaux sur lesquels on continue à ne rien dire? À ce sujet aussi tout a été dit, j’en reste là.
Géométrie variable
Ce qui me fait surtout bondir, c’est la géométrie variable avec laquelle le monde politique peut s’indigner ou pas, et ce quelle que soit la tendance, selon les thèmes ou les territoires. L’histoire contemporaine du Pays Basque est tissée de faits qui auraient dû susciter l’indignation, mais au sujet desquels on n’a entendu que trop rarement les politiques. Parmi les derniers en date, une place particulière est occupée par l’affaire Egunkaria et celle d’Udalbiltza. Certes, la portée historique de la fermeture reconnue abusive d’un journal ou de l’illégalisation d’une association n’est pas la même que celle de la Révolution de Jasmin, mais dénoncer les grandes injustices dédouane-t-il de laisser passer les «petites»?
Quant à la situation d’Aurore Martin qui, qu’on le veuille ou pas, risque la prison pour son activité politique de la même manière qu’un prisonnier d’opinion tunisien, faudra-t-il attendre une hypothétique issue équivalente à celles d’Egunkaria et d’Udalbiltza pour entendre un concert de réprobation de la 25e heure? On ne peut toujours être irréprochable mais au moins pourrait-on, ici aussi, cesser d’attendre de savoir où va le vent pour s’indigner et agir.