De ces mails, on en reçoit des tonnes chaque semaine. Chaînes à faire suivre, montages photos, textes de réflexion plus ou moins «autorisés», nos boîtes aux lettres électroniques en font une indigestion. Certains valent le coup, mais d’autres sont pour le moins inquiétants.
«Comité de la Majorité
Silencieuse Basque»
Il se trouve qu’un de mes proches vient de me transférer pour info un de ces messages tournants, qui me laisse un goût amer. Voici ce qu’on y lit (extraits): «Les Basques seraient-ils moins cons que les autres français! Nos politiques attendent-ils une guerre civile pour régler ces questions? Au Pays Basque les immigrants doivent s’intégrer (…) Il est intolérable que les enfants et les petits enfants d’immigrés d’hier ne soient pas ou ne veuillent pas s’adapter, influencés par les voies islamiques venues d’ailleurs les poussant à nous imposer, progressivement les lois de la sharia. Nous n’acceptons pas cela au Pays Bas-que. Nous n’aurons pas, comme c’est le cas dans certaines banlieues, des zones de non droit. (…) Les habitants de notre Pays Basque seront particulièrement vigilants concernant toutes les for-mes de dérapage qui exaspèrent la société française. Vous qui êtes Musulmans, ne perdez jamais de vue que si vous êtes sur le territoire français c’est pour bénéficier d’avantages économiques et sociaux qui n’existent pas dans votre pays d’origine. Alors rappelez cela à vos descendants qui revendiquent l’islam au Pays Basque en s’habillant de plus en plus comme une provocation [le foulard]. Nous n’accepterons pas non plus de voir ces jeunes filles et jeunes femmes, de plus en plus nombreuses, envahir nos espaces publics vêtues de la sorte. Musulmans; nous vous con-seillons instamment de suivre nos règles. Ici, c’est notre pays, notre terre, notre style de vie dont vous profitez sans toujours les respecter. Le Pays Basque ne se pliera pas à vos exigences ou alors, ceux qui persisteront seront contraints de retourner dans leur pays d’origine ou celui de leurs ancêtres. Nous vous demandons de transmettre et de faire circuler notre courrier à tous vos parents et entourage proche en insistant sur le fait que nous sommes de plus en plus déterminés.» C’est signé «CMSB, Comité de la Majorité Silencieuse Basque» et accompagné du commentaire suivant: «On sait que les Basques ne plaisantent pas quand il s’agit de la défense de leur culture, de leur terre: on s’intègre ou on dégage!»
La haine par procuration
Derrière ce genre de message existent de vraies questions, dont je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’elles soient la motivation première de ses auteurs: celle de l’usage du tchador au regard des droits de la femme, celle de la rencontre entre islam et République laïque, celle de la différence entre musulmans et islamistes, etc. Ayant comme tout le monde mon avis, mais n’étant pas théologien, je n’ai aucune légitimité pour infliger mon analyse de comptoir au lectorat d’Enbata. À cet égard, je me demande seulement si les auteurs de ce texte se posent les mêmes questions au sujet de l’intégrisme catholique. Peut-être simplement que certaines religions sont au-delà de tout soupçon tandis que d’autres ne sont que portes d’entrée vers le fanatisme. Peut-être aussi que l’islam serait une religion par essence étrangère au Pays Basque, alors qu’au regard du temps long de l’histoire, il y est arrivé à peu près au même moment que le christianisme même s’il n’y a ja-mais été majoritaire.
Mais ce texte ne s’embarrasse pas de ces «dé-tails»; il est encore plus simple que tout cela. Car à sa lecture, se demande-t-on seulement si la situation qu’il décrit est réelle? À supposer que l’intégrisme soit un fait significatif en France, ce qui est loin d’être évident au regard des millions de musulmans qui la peuplent en toute quiétude, au Pays Basque il me fait penser à cette personne âgée qui s’était vantée devant moi d’avoir voté FN parce qu’il y a «trop de noirs et d’arabes», elle qui n’en avait jamais vu qu’à la télévision. Le péril de la sharia au Pays Basque, rien que ça, de la sim-ple haine par procuration.
Du détournement de l’identité
En réalité, ce texte cherche à importer au Pays Basque des peurs et des fantasmes qui n’y existent pas, et dans un but éminemment politique. Il doit être relié à ce phénomène des blocs dits «identitaires», apparus récemment au Pays Basque comme ailleurs, dont la stratégie globale consiste à agiter le chiffon rouge du danger de l’islam en élevant en rempart contre lui le petit orgueil culturel local —voire national— dûment flatté, montage dont ils seront les seuls à opérer la synthèse et à la capitaliser. Un modèle de stratégie publicitaire: «je crée le besoin idéologique et aussi sec je me propose comme réponse».
Ce texte est un réel danger, en soi; il l’est aussi par l’amalgame qu’il pourrait générer dans quelque esprit tordu avec la promotion d’une identité bas-que ouverte et intégratrice, celle que nous portons, et qui en est à la fois l’antithèse et l’antidote. Prenons garde à ce que le rouge de l’ikurriña ne vire jamais au brun.