Le Pays Basque, un espace complexe où se mêlent depuis plusieurs décennies images d’Épinal offertes à l’industrie du tourisme, problème géopolitique douloureux (qui n’est d’ailleurs pas la moindre des images d’Épinal de ce pays…) et une identité toujours en question.
De l’abertzalisme au communautarisme
Cette identité en question, parlons-en! Que n’entend-on pas à longueur de journaux ou de reportages télévisés sur ce petit pays où la moindre velléité de défense de la langue basque ou la moindre aspiration politique deviennent symboles de la «balkanisation» de l’Europe, d’un repli sur soi nationaliste, du «communautarisme» pour reprendre le dernier concept à la mode. C’est d’ailleurs largement de notre faute, nous autres abertzale qui avons pendant longtemps continué à ne parler que de thématiques liées à l’identité, comme si c’était la seule chose que nous avions à dire à la population. Nous qui n’avons que si tardivement commencé à nous élever contre le qualificatif de «nationaliste», soit par condescendance vis-à-vis de ce qui n’était que «la presse ennemie complice du pouvoir oppresseur», souvent aussi par paresse intellectuelle, parfois encore parce qu’on ne savait pas vraiment si on ne l’était finalement pas un peu, nationaliste…
Pour ne livrer qu’une impression personnelle, ayant été porte-parole d’AB durant ces dernières années j’ai pu constater l’étendue du malentendu —voire de la manipulation idéologique— qui nous entoure. Aux questions que l’on nous pose, aux thématiques dans lesquelles on veut nous confiner, aux idées reçues qui s’accrochent à nous telles des sangsues, j’ai pu mesurer le temps qu’il a fallu et qu’il faudra encore pour inverser la tendance. Et pourtant, en quoi la défense d’une identité serait antithétique de la tolérance et de l’ouverture au monde? Faut-il cesser «d’être soi-même» pour «être au monde»? Mieux: les deux ne s’alimentent-ils pas mutuellement?
Échange ou assimilation?
Lorsque l’on parle de ces questions, je ne peux m’empêcher de penser que le Pays Basque a toujours été le contraire de cette image qu’on lui accole. Particularité parmi les particularités, l’euskara est l’exemple type d’une civilisation qui a souhaité conserver une syntaxe unique en Europe tout en ouvrant la majeure partie de son vocabulaire aux influences extérieures. Depuis 40.000 ans qu’il peuple ce coin d’Europe, le peuple basque a été traversé de multiples fois. D’hier à aujourd’hui, nombreuses sont les cultures avec lesquelles la nôtre a échangé, faisant du Pays Basque ce qu’il est aujourd’hui, un pays tellement singulier et à la fois si pluriel…
Une telle vision de l’histoire ne doit toutefois pas verser dans l’angélisme: échange il y eut souvent, imposition il y eut aussi. On ne peut que se réjouir de l’introduction de l’alboka ou du trikitixa par adhésion volontaire, mais on ne peut oublier que c’est par l’imposition pure et simple que la langue française —tout joyau linguistique qu’elle soit— a écrasé l’euskara depuis l’instauration de la IIIe république. Parler le français est un privilège, mais il aurait dû être un privilège choisi. Là réside la différence entre échange culturel et assimilation. À l’heure d’aujourd’hui, les Basques doivent faire avec, et ce sont eux que l’on traite de communautaristes lorsqu’ils protestent contre cet état de fait et contre la lente disparition de ce qui fonde leur identité.
«D’ici et d’ailleurs»
Dans ce contexte, le Pays Basque reste une terre d’accueil. Français, Sénégalais, Portugais, Italiens, Malgaches, Espagnols, nombreux sont celles et ceux qui viennent s’installer au Pays Basque. Deviennent-ils Basques? Le souhaitent-ils et nous, le souhaitons-nous? Voilà une question que l’on évitait soigneusement de poser jusqu’ici, tant il était difficile de penser à l’identité des autres sans savoir déjà comment préserver la nôtre. Venu(e)s d’ailleurs, les immigré(e)s sont désormais à la fois d’ici et de là-bas. Gaby Etchebarne a souhaité les faire témoigner, dans un livre intitulé «D’ici et d’ailleurs. Paroles d’immigrés au Pays Basque» (éd. Elkar). Sans fard, ils et elles y racontent l’expérience de leur installation ici, dans ce qui fut heureux et malheureux, réussites et échecs, sans apologie ni condamnation.
Est-il plus particulier de s’installer ici qu’ailleurs? Peut-être pas, peut-être ne vaut-il même pas la peine de se poser la question. Mais en ces temps où le climat paraît tout sauf serein à cet égard en Europe en général et en France en particulier, cela ne semble pas superflu. Le vendredi 17 décembre à 18h, une rencontre-débat intitulée «Un Pays Basque singulier et pluriel?» est organisée à la librairie Elkar sur ce thème. Nul ne sait s’il fera avancer le schmilblick mais on ne m’enlèvera pas de l’idée qu’il y a un paradoxe dans l’affaire: c’est des Basques qui sont à l’initiative de ce débat… Bizarre pour des communautaristes, non?
Peio Etcheverry-Ainchart