IL n’y a guère j’écrivais un article intitulé “La longue marche” (Enbata du 15 avril 2012) où je commentais la manifestation du 31 mars en faveur de l’officialisation de l’euskara, véritable procession laïque qui s’inscrit dans le droit fil de la reconnaissance juridique des langues de France autres que le français.
“Urratsez urrats”, c’est ainsi qu’allaient les gens dans une ambiance non seulement paisible, mais, en outre, festive, car revendiquer pour une langue c’est l’honorer et que l’honneur ne peut se rendre que dans la joie. “Urratsez urrats”, c’est aussi le rythme de marche adopté, celui qui mène vers un but déterminé, patiemment mais fermement calculé, celui d’une projection vers l’avenir, un rêve du futur.
“Herri urrats”, c’est la grande fête des ikastola, celle qui réunit autour du lac de Saint-Pée-sur-Nivelle environ 50.000 personnes qu’elles soient âgées, adultes ou enfants dans le but de rassembler l’argent qui permettra de construire de nouvelles écoles ou d’en améliorer d’autres. En dehors des amusements proposés aux enfants, de lieux de danses, de prestations de chorales, de joutes de bertsularis, la base de la fête est la marche, celle qui s’accomplit “urratsez urrats”, pas à pas, autour du lac, la marche n’étant pas simplement un exercice physique ou une détente, mais la contribution dans le sens plein du terme, contribution financière pour le développement de la filière en immersion, celle qui est capable de garantir l’avenir de la langue. Mais le terme “urratsa”, ce n’est pas uniquement la marche, c’est aussi la dé-marche d’adhésion volontaire, clairement assumée par celui ou celle qui, n’étant pas à Saint-Pée ce jour-là, tient à contribuer à l’essor des ikastola. A travers “Herri urr-ats”, comme à travers la “Korrika”, l’objectif est le même, celui de la survie et surtout de l’expansion de l’euskara, marche ou course payante, non point un impôt mais une contribution enthousiaste.
Il s’agit d’une véritable politique linguistique menée non point par un gouvernement, mais tout au contraire par la société basque solidaire, engagée, tenace dans son engagement car il se situe dans la durée, dans ce pas à pas d’une durée indéterminée, quasi intemporel. C’est ainsi que, à force de revendications jumelées avec le dialogue et les tractations, petit
à petit s’affirme le droit de passer les épreuves du baccalauréat en basque. Ce fut d’abord l’histoire et la géographie; ce sera dorénavant les mathématiques. Un pas de plus en attendant le suivant.
La France vient d’élire un nouveau président de la République; elle se prépare à lui donner une majorité stable et cohérente. Les dirigeants auront à résoudre, car il le leur est posé, le problème d’une société, d’un peuple qui réclame une existence et une reconnaissance juridique à travers une “collectivité publique”. Le problème est posé, ne le laissez pas pourrir, car, vous le savez le peuple basque est imputrescible.
“Azken urratsa”: le chant est certainement la forme littéraire à laquelle toute personne, quel que soit son niveau culturel, est accessible. Le chant est la possible accession à la beauté par l’intermédiaire d’un texte écrit qui, peut-être, ne sera jamais lu, mais qui est appris et mémorisé par l’incantation de l’habillage musical. Le chant est la base même de la culture basque depuis ses origines médiévales jusqu’à cette deuxième moitié du XXe siècle où il a pris une signification nouvelle dans l’ensemble de l’Euskal Herria. Les chanteurs sont les intermédiaires privilégiés entre le créateur et le public; ils sèment la beauté, ils répandent la joie. La voix de l’un d’entre eux s’est éteinte . Eñaut Larralde, mon jeune ami, a franchi le pas, “azken urratsa”, que nous franchirons à notre tour. “Ixil ixilik nago, gogoan zaitut”.