Voici la nouvelle, telle qu’elle nous est parvenue le 16 dé-cembre au soir par la dépèche suivante de l’AFP: Paris, 16 décembre 2010: La justice française a rejeté le pourvoi formé par une militante française du parti indépendantiste basque Batasuna, visée par un mandat d’arrêt européen, contre son transfert en Espagne, a-t-on appris jeudi de source judiciaire.
Le transfert en Espagne d’Aurore Martin, actuellement libre, est désormais juridiquement possible, après cette décision de la Cour de cassation, juridiction la plus élevée de la justice française.
La cour d’appel de Pau avait donné son feu vert en novembre au transfert d’Aurore Martin, qui bénéficiait d’un large mouvement de soutien au Pays Basque et parmi les défenseurs de droits de l’Homme.
Le pourvoi en cassation, qui était suspensif, a été rejeté, a indiqué la source judiciaire.
Agée de 31 ans, Aurore Martin est poursuivie en Espagne pour “participation à une organisation terroriste”, selon les termes du Mandat d’arrêt émis par Madrid, qui relève notamment ses activités à la direction de Batasuna, un parti autorisé en France mais interdit en Espagne pour ses liens présumés avec l’organisation indépendantiste armée ETA.
Il lui est notamment reproché sa participation, en qualité de membre de Batasuna, à di-verses réunions publiques et conférences de presse, en France comme en Espagne, en 2006 et 2007.
Parmi les faits reprochés par la justice espagnole à Aurore Martin, la cour d’appel avait écarté ceux qui concernent ses activités en France et n’avait retenu qu’une partie de ceux qui se sont déroulés en Espagne.
La Ligue des droits de l’Homme, l’Association européenne pour la défense des droits de l’Homme (AEDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) avaient notamment dénoncé dans un communiqué une “entente entre Etats pour museler des opposants politiques”.
A Bayonne, dans le Pays Basque français, le président de la section locale de la Ligue des droits de l’Homme, Christophe Desprez, a jugé la situation “consternante”, soulignant que c’est “la procédure du mandat d’arrêt européen elle-même qui est en cause”.
“Une militante française d’une organisation légale en France peut ainsi être transférée dans un pays où cette même organisation n’est pas autorisée”, a-t-il dénoncé.
Michel Berger, porte-parole du Collectif des droits de l’Homme du Pays Basque, a de son côté jugé “incompréhensible, plus que regrettable” la décision annoncée. “On avait cette crainte, ils ont voulu aller jusqu’au bout”, a-t-il dit à l’AFP, évoquant une décision “contraire au bon sens du droit”.
C’est bien la première fois
Aurore Martin est-elle le premier citoyen français a être extradé vers un pays tiers? Formellement, oui. La procédure du MAE a pourtant été utilisée contre d’autres Basques ressortissants français. Le 1er juin 2004, la Cour d’appel de Pau avait dit non au MAE espagnol visant Yves Machicote, Haritza Galarraga et une certaine Amaia Rekarte, devenue aujourd’hui… avocate d’Aurore Martin. Fait rarissime: le Procureur général Jean-François Lorans avait introduit un recours en Cassation. La Cour suprème, le 8 juillet 2004, avait confirmé le refus, au motif notamment que certains faits reprochés avaient été commis en France. (Il est à noter que cette fois-ci aussi, certaines infractions imputées à Aurore, dans le MAE espagnol relèvent du territoire français. Mais ils ont été écartés par les juges palois).
Le 2 février 2005, la Cour d’appel de Paris avait refusé le MAE adressé par le Juge Garzon à l’encontre de Jean-François Lefort “Lof” soupçonné de diriger depuis la France le collectif Askatasuna interdit en Espagne…
Mais il faut rappeler ici le cas de Jose Antonio Zurutuza, chef d’entreprise hendayais naturalisé français en 1988, extradé vers l’Espagne selon la procèdure de l’extradition (Cour d’appel de Pau du 25 février 2004 confirmé par Cassation et Conseil d’Etat). Les faits incriminés dataient de 1982, soit six ans avant la naturalisation, ce qui autorisait, selon une loi de 1923 l’extradition de ce “national”.
Quant à Aurore Martin, elle a déjà fait l’objet au printemps 2010 d’un MAE lancé par l’Espagne. Mais la Cour d’appel de Pau, la même qui l’autorise aujourd’hui, l’avait rejeté, au motif de ses incohérences, à la date du 8 juin 2010.
Les Basques et le MAE
C’est par dizaines qu’il faut compter le nombre de remises à l’Espagne de citoyens basques, par la procédure du MAE. Bien entendu, il s’agit là des Basques tenus pour “espagnols”… Le chiffre n’est pas connu, dans la mesure où, pendant quelques années, a perduré la procédure ancienne de l’extradition. Le MAE a fonctionné au moins une fois dans l’autre sens: Peio Alcantarilla, récemment jugé à Paris, arrêté le 3 octobre 2004 à Burgos, a été remis à la France par MAE le 13 janvier 2005.
Les reactions
Malheureusement, cette dépèche AFP n’a pratiquement pas été reprise par la “grande” presse, dite nationale. Les problèmes périphériques n’intéressent guère les média parisiens. Localement, en revanche, les réactions ont été vives et nombreuses. Les plus révélatrices émanent du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques en session à Pau les 16 et 17 décembre.
Si aucune motion n’a été formellement adoptée, les prises de positions se sont succèdées. La plus remarquée a été celle du leader UMP, des élus départementaux, Max Brisson, conseiller général de Biarritz: “Je ne partage pas les engagements politiques d’Aurore Martin. Je n’accepte pas que Batasuna, son parti, ne condamne pas sans réserve la violence et le terrorisme. Bien que je m’abstienne de commenter les jugements, je n’accepte pas qu’une jeune française soit extradée pour ses convictions politiques et pour son appartenance à un parti non interdit en France. Ici le délit d’opinion n’existe pas. La France doit protèger tous ses concitoyens, même ceux qui défendent des idées radicales, si elles sont légalement exprimées (…)”.
Du côté des centristes, Jean-Pierre Mirande (Mauléon): “Il faut respecter la démocratie. Batasuna est autorisé en France”. Michel Arhancet (Tardets) “Je pensais que les Droits de l’Homme existaient encore”. Monique Larran-Lange (Bayonne): “Il y a absence de délit au regard de la loi française”. Jean-Jacques Lasserre (MODEM), vice-président du Conseil général, par ailleurs président du Conseil des élus du Pays Basque: “Je souhaite une main tendue au moment où France et Espagne connaissent un moment particulier de leur vie sociale et politique”.
Côté socialiste, Kotte Ecenarro (Hendaye): “Dès le début, j’ai soutenu Aurore Martin. Je continue à le faire”. Guy Mondorge (Anglet): “Rappelons ici les Droits de l’Homme et du citoyen”. Christophe Martin (Boucau): “Nul ne peut être condamné pour ses opinions”.
L’abertzale Alain Iriart (St Pierre d’Irube) a réaffirmé son engagement auprès d’Aurore et contre le MAE.
Comme le souligne malicieusement Sud Ouest, “les conseillers “béarnais” sont restés silencieux, un silence remarqué autour d’une question basque”. Il ajoute non moins malicieusement: “Un silence, sans doute synonyme de soutien”. Côté Béarn, l’honneur est sauf, grâce au député-maire d’Accous Jean Lassalle qui s’est même aventuré à dire que “le processus de paix est engagé par ETA et le gouvernement espagnol”. Aussi n’imagine-t-il pas que “l’on puisse être poursuivi pour des prises de position, en plein processus de paix”. Jean Lassalle n’est qu’à moitié “béarnais” puisqu’il est député d’une circonscription basco-béarnaise…
D’autres réactions
Toujours dans ce domaine des réactions, signalons celle du Conseil des élus présidé par J-J. Lasserre, de la conseillère régionale d’Europe-Ecologie Alice Leiciaguezahar, d’un Collectif regroupant PS,PC, PG, LDH, Cimade, NPA, FSU, CFDT (Pays Basque), ATTAC (Pays Basque).
Parmi les personnalités locales, le conseiller régional PS François Maitia qui voit dans ce MAE une mise en garde à Batasuna d’Iparralde, ajoutant: “Aurore Martin n’est pas une terroriste, elle n’est pas dans la logique des actions armées d’ETA. Les faits retenus se sont produits lors de la dernière trêve d’ETA (2006-2007). Cette extradition reste très choquante”. Le sénateur-maire centriste de Biarritz Didier Borotra: “La France n’a pas à extrader une de ses concitoyennes pour un motif compréhensible en Espagne, mais qui n’est pas répréhensible en France”.
Askatasuna a tenu le 17 décembre une conférence de presse à Bayonne. Le Comité a vu dans ce MAE un outil politique susceptible de servir prochainement contre d’autres militants, tels Xabi Larralde ou Jean-Claude Aguerre. Il s’est réjoui, avec réserves, des prises de position des élus, et n’a pas manqué de stigmatiser le silence de certains autres. La veille, dans la soirée, des rassemblements pour Aurore, ont été organisés, notamment à St Jean, et Bayonne. Puis, le 21 à St Jean Pied de Port.
Le CDDHPB a publié le communiqué suivant:
“Ce jeudi 16 décembre 2010, la cour de cassation a rejeté le pourvoi d’Aurore Martin. La France accepte donc sans état d’âme le transfert d’une ressortissante vers l’Espagne où elle risque d’être incarcérée, dans les conditions particulièrement odieuses que l’on connaît, pour avoir participé à des prises de parole politiques en public.
On voit jusqu’où l’application du MAE (Mandat d’Arrêt Européen), combattu avec détermination par toutes les personnes qui croient encore en une justice indépendante, peut conduire, soi disant en toute légalité.
Il est loin le temps où la France, terre d’asile, accueillait tous ceux qui dans leur patrie étaient menacés. Aujourd’hui, ce ne sont même plus seulement les étrangers sans papier qu’elle exile, sans égard, mais les citoyens français coupables de s’exprimer chez un voisin européen!
Après avoir perdu le titre de pays des droits de l’homme, aurait-elle perdu définitivement la raison et le titre de pays des lumières? Ce n’est plus l’aurore mais le crépuscule!
Devant une telle aberration, le CDDHPB s’élève avec force et exige du gouvernement suffisamment de lucidité pour renoncer à l’exécution d’une telle condamnation.”
Le Monde du 21 publie un article de son correspondant.
Et maintenant?
Au moment où sera publié le présent numéro d’Enbata, le sort d’Aurore Martin sera peut être scellé. La procédure finale est entre les mains du Procureur général de la Cour d’appel de Pau. C’est lui qui est chargé de l’application finale du MAE. Il peut donc ordonner la prise de corps d’Aurore et sa remise à l’Espagne. Mais l’actualité nous rappelle que le Parquet en France est sous la tutelle de la Chancellerie, c’est-à-dire du pouvoir exécutif. L’actuel Garde des Sceaux Michel Mercier a entre ses mains le dossier d’Aurore. Osera-t-il s’opposer à l’exécution de ce Mandat d’arrêt? Soyons sûrs qu’il fera ce que lui dira de faire un certain N. Sarkozy.
Dernière heure: Aurore Martin annonce être entrée “en clandestinité”.