Face à la guerre d’Ukraine, comme abertzale, que penser, que dire, que faire ? Très bonne question ! En fait je me la suis posée après coup. Sur le moment la réponse a fusé sans calcul, venant d’un autre horizon que celui de la patrie.
Ce qui a d’abord fonctionné, c’est un réflexe de Pavlov basé sur le souvenir d’autres événements douloureux du même genre : 1er septembre 1939, 22 juin 1941, 1er novembre 1954, 4 novembre 1956, 20 août 1968… Donc rejet spontané de l’invasion militaire et de la guerre d’agression.
D’un point de vue abertzale, la situation est plus complexe. D’une part comment admettre que l’armée d’un état (géant de surcroit) envahisse massivement le territoire d’un autre état souverain (beaucoup plus petit) et agresse brutalement ses habitants ? D’autre part comment ignorer le problème d’une minorité nationale russophone en butte au pouvoir central d’un état jacobin, par suite d’un tracé de frontière discutable hérité de l’Union Soviétique ?
Une guerre larvée y trainait depuis 2014, attisée à vrai dire par le grand voisin russe et soutenue par ses nombreux tanks. Donc une situation compliquée.
Pourtant je n’ai pas hésité une minute, inspiré je l’avoue par une motivation autre que patriotique, une considération humaine plus vaste : le refus systématique de la guerre comme moyen de régler un conflit. Comment peut-on aujourd’hui recourir froidement à une méthode aussi barbare, surtout avec les potentiels modernes de destruction massive qui nuisent principalement aux populations civiles ? C’est complètement absurde, irresponsable, insensé, criminel, donc inacceptable. Ce qui était tout à fait prévisible d’après l’expérience des guerres précédentes, dont celle de 1939-1945, n’a pas manqué de se produire : exode massif des foules humaines, destruction des villes et des récoltes, famines en vue dans une vaste partie du monde…
Cette mise en retrait provisoire de mon abertzalisme face à cette guerre me pose un problème général : le patriotisme basque englobe-t-il la totalité de ma personnalité, est-il capable de répondre à l’ensemble des questions qui se posent à ma conscience ?
Mon attitude actuelle m’oblige à répondre que non : l’abertzalisme n’est pas le tout de mon identité. Basque et patriote basque, je suis en même temps époux, père et grand-père, ancien enseignant, écologue, républicain, syndicaliste, chrétien, passionné de sport et de montagne, de nature et de culture, etc. bref une personne complexe, comme tout le monde, et de cette commune humanité a jailli spontanément mon refus de l’invasion russe. Comment admettre le recours à la guerre totale pour régler un conflit de frontière ou de minorité nationale ?
Ce genre de problème pourrait naître n’importe où, les limites des états étant le plus souvent artificielles et surtout arbitraires. Par exemple la France devrait-elle envahir la Suisse pour absorber le Valais francophone, agresser la Belgique pour annexer la Wallonie, débarquer au Canada pour récupérer le Québec ? Stupide n’est-ce pas ? Comme l’est cette invasion de l’Ukraine. Pour conclure clairement mon débat intime sur les contours de mon patriotisme basque, je fais appel à la plume lumineuse du grand Montesquieu : “Si je savais une chose utile à ma nation, qui fût ruineuse à une autre, je ne la proposerais pas à mon prince, parce que je suis homme avant d’être français, (ou bien) parce que je suis nécessairement homme, et que je ne suis français que par hasard.” (Cité par René Cassin, Cahiers 1716-1755, Mes Pensées, I, p.344). Remplacez “français” par “basque”, et mon compte y est.
J’en tire un coup de pouce humanitaire en faveur des civils ukrainiens persécutés, ainsi qu’une pensée douloureuse pour les soldats qui meurent, y compris les jeunes russes jetés dans cet enfer par un pouvoir irresponsable et affabulateur, comme ce fut aussi notre sort à leur âge en Algérie, tout çà pour une mauvaise cause qui ne peut l’emporter totalement et qui coûtera très cher à tout le monde.
Mais le peuple ukrainien résiste admirablement, par la lutte il affirme et affermit sa conscience de nation libre. Elle ne pourra plus être niée par monsieur Poutine, si du moins il garde un reste de raison.