Ce jeudi 19 mars à Bayonne, non sans ironie, d’un côté la mairie invite le docteur Michel Desmurget, auteur de « TV Lobotomie – la vérité scientifique sur les effets de la télévision », et de l’autre, la vidéo et l’usage des écrans restent banalisées dans ses écoles publiques.
La contradiction et le paradoxe seraient-ils inhérents à la gestion publique? La mairie reçoit en effet ce jeudi 19 mars, à 19H15, à la maison des associations Michel Desmurget, auteur de « TV Lobotomie – la vérité scientifique sur les effets de la télévision », lors de la soirée-débat des Journées de la petite enfance. Chercheur en neurosciences à l’INSERM, Michel Desmurget a marqué les esprits en 2011, en montrant que le développement intellectuel des enfants se trouve profondément affecté par l’exposition à la télévision, avec un effet d’autant plus fort que cette consommation s’effectue massivement très jeune…Ce bilan scientifique solide, réalisé à partir de 4000 articles de référence, est édifiant : un écolier passe chaque année plus d’heures devant la télé (956h) que face à son professeur des écoles (864h). Et ceci n’est pas sans incidence : pauvreté des discours, de syntaxe et du lexique ; inhibition du développement cognitif, linguistique et créatif ; baisse des résultats scolaires ; problèmes d’attention et d’imagination, violence, troubles du sommeil….La raison profonde de cette déficience en matière de maturation de l’intelligence, contrairement à une idée reçue, ne serait pas liée à la qualité des programmes, mais tout simplement à la nature non interactive et passive de la télévision.
Enfants hors-sols
On s’attendrait donc à ce que l’école publique soit un lieu protégé, où les enfants qui se voient déjà inculquer le réflexe télé par leurs parents, aient ici d’autres formes d’apprentissage et de loisirs. D’autant que dans la présentation de cette 16ème édition des Journées de la petite enfance, la mairie de Bayonne alerte sur le fait que « les écrans sont omniprésents dans la vie des enfants, dès le plus jeune âge, et que des centaines d’études académiques indépendantes démontrent pourtant l’influence globalement négative sur le développement somatique, émotionnel et cognitif« . Or il est une chose que de se lancer dans de grands discours, encore faut-il passer aux actes concrets ! En effet, cette même mairie explique dans sa Charte des Temps Périscolaires que « les équipes d’animations, peuvent, suivant les écoles, avoir accès au matériel audiovisuel pour les activités de détente et de relaxation« . Dans les faits, il est effectivement d’usage que les enfants de maternelles et d’élémentaires, français et Ikas-Bi confondus, se voient placés devant des dessins animés, sur les temps de récréation et/ou de périscolaires, et ce en cas de pluie, de manque d’espace sous le préau, de manque de salle pour ne pas déranger ceux qui sont en sieste, voire même d’un besoin d’un temps « lasai » comme on peut l’entendre dans la bouche du personnel. Mais « lasai » pour qui ? L’effet hypnotisant de la télévision n’a rien à voir avec un effet relaxant ! Bien au contraire, Michel Desmurget rappelle que de nombreuses études scientifiques ont démontré que « le petit écran accroît l’impulsivité comportementale et cognitive des enfants, tout en diminuant leur propension à la persévérance, leur appétence pour les tâches intellectuellement exigeantes et leurs capacités de concentration« .
No tech-school
Ironiquement encore, depuis 2015, sous l’impulsion de Sylvie Durruty première adjointe au maire en charge du numérique, la municipalité bayonnaise devra « investir », un total de 200 000 € au renouvellement des équipements numériques dans ses écoles, au prétexte de modernité. « La ville innove à double titre: non seulement par l’existence d’un espace numérique de travail (ENT) en primaire mais aussi avec l’ouverture d’un «eb@n», un portail bilingue » peut-on lire dans le courrier des maires. Qu’importe si, publiée en septembre 2015, l’étude de l’Organisation de coopération et de développement (OCDE) sur les compétences numériques des élèves, a semé le doute quant à l’efficacité de l’utilisation des écrans dans l’enseignement. « Les élèves utilisant très souvent les ordinateurs à l’école obtiennent des résultats bien inférieurs dans la plupart des domaines d’apprentissage, même après contrôle de leurs caractéristiques socio-démographiques », résume Andreas Schleicher, directeur de l’éducation et des compétences à l’OCDE. Certains parlent même de catastrophe comme Philippe Bihouix et Karine Mauvilly, auteur de « Le Désastre de l’école numérique, Plaidoyer pour une école sans écrans » ( Seuil 2016). Enfin, un fait à lui seul est suffisant pour nous alerter : alors que la France s’engage à marche forcée dans l’école numérique, les cadres de la Silicon Valley, Steve Jobs (Apple), Evan Williams (Twitter) et Bill Gates (Microsoft), ont toujours inscrit leurs enfants dans les No-tech School, ces écoles sans recours aux écrans.
En résumé, la communauté scientifique se retrouve sur les divers effets négatifs de la télévision et des écrans, dans un consensus semblable par son ampleur que celui que connaissait cette même communauté sur les effets cancérigènes du tabac (alors que l’industrie et ses affidés niaient encore farouchement tout lien), avec la même difficulté donc, à savoir que cette “vérité scientifique” n’arrive pas du tout à s’imposer dans l’espace public. Une fois de plus, sous la pression des lobbies ou au nom du « progrès », nos représentants manquent cruellement de cohérence, pour ne pas dire sont à la traine sur ces enjeux scientifiques, pédagogiques et sociétaux.
Jeudi 19 mars, 19H15, rencontre-débat, Maison des associations / Entrée libre Tout public
Michel Desmurget: « TV Lobotomie – la vérité scientifique sur les effets de la télévision ».