Après avoir siphonné le vote indépendantiste il y a six mois, le nouveau parti de la gauche alternative espagnole mord sur l’électorat PNV. Le PP et le PSOE progressent légèrement. Tout cela au détriment d’EH Bildu qui s’affaiblit dangereusement. Au total, le vote abertzale est en chute constante. En Espagne, Podemos ne parvient pas à ravir le leadership aux socialistes et tous deux perdent quelques points. Le PP progresse et caresse l’espoir de diriger un pays qui semble difficilement gouvernable.
Depuis 2011, la chute du vote abertzale en Hegoalde est vertigineuse.
Il passe d’un peu plus de 700.000 voix
à moins de 485.000 voix cinq ans plus tard.
La maison est en flammes,
le temps joue contre ses occupants.
L’irruption de Podemos à gauche et de Ciudadanos à droite a brisé le 20 décembre 2015 le bipartisme PP et PSOE en affaiblissant ces deux derniers. Les quatre partis ont en vain tenté des formules d’alliances, et il a fallu se résoudre à revenir devant les électeurs. D’où un deuxième scrutin ce 26 juin où l’on élisait députés et sénateurs du pays.
Il y a six mois, Podemos créait la surprise en raflant l’électorat indépendantiste basque et devenait la première formation politique de Hegoalde, avec plus de 25% des voix. En alliance avec les communistes d’IU, la question était de savoir si Podemos allait confirmer son score ou au contraire durer “ce que vivent les roses, l’espace d’un matin”.
En Pays Basque comme en Espagne, Podemos progresse, mais pas dans les proportions annoncées par les sondages.
Le taux d’abstention des électeurs basques augmente légèrement d’une élection à l’autre: de 31% en 2015, il est passé aujourd’hui à 32,56%, les blancs et nuls restant à peu près au même niveau.
La claque
Avec presque 29% des voix en Hegoalde, Podemos progresse en six mois de trois points et totalise 8 députés, sur un total de 23, devant le PNV (un peu plus de 19 % et 5 députés). Le Parti nationaliste basque parvient à sauver son groupe parlementaire aux Cortes. Le PP arrive en troisième position devant le PSOE, soit quatre députés chacun. EH Bildu est cinquième avec seulement deux élus et 12,41% des voix, soit une perte de 35.000 suffrages. La claque est particulièrement rude pour un parti qui comptait sur “l’effet Otegi” récemment libéré et se voyait au coude à coude avec le PNV il y a quelques années, peu après l’arrêt de la lutte armée.
Les déclarations de décembre dernier —comme quoi, EH Bildu avait “prêté ses électeurs” à Podemos et qu’une alliance future ouvrait la possibilité d’élire Arnaldo Otegi au poste de Lehendakari— apparaissent aujourd’hui bien vaines.
Ceux qui au lendemain de la conférence d’Aiete, nous annonçaient “un nouveau cycle” dans la vie politique de ce pays, avaient raison.
Effectivement, il s’agit d’un nouveau cycle, mais qui n’a rien à voir avec celui qu’ils appelaient de leurs voeux.
Ce 26 juin, la principale surprise est venu de Biscaye où Podemos a ravi un député supplémentaire sur les deux seuls qu’il gagne dans l’ensemble de l’Etat espagnol. Et surtout il évince le PNV de la première place dans une province qui est son fief historique.
Toutefois, le PNV parvient à contenir l’effet Podemos, même s’il subit une légère érosion en nombre de voix.
On assiste en Navarre à une progression de l’UPN qui demeure en tête, dans la logique de la montée en puissance du PP en Espagne. Podemos et PSOE améliorent leurs scores, ce qui réjouit le président de l’UPN, Javier Esparza: “La Navarre n’est pas nationaliste” basque, alors qu’elle est dirigée par l’abertzale Uxue Barkos, en alliance avec Podemos et sa propre formation, Geroa bai.
Ce parti chute lourdement en perdant plus de la moitié de son électorat. La Navarre n’a plus de député abertzale depuis 2015, du fait de la division entre EH Bildu et Geroa bai. Même en Gipuzkoa, EH Bildu s’effrite (une perte de 12.000 voix) au profit de Podemos qui arrive en tête dans plusieurs fiefs indépendantistes et franchit la barre des 100.000 voix. Le PNV se maintient en seconde position. Au total, la répartition des élus reste identique.
Podemos réalise en Araba un des meilleurs scores de tout l’Etat espagnol. Il conforte sa puissance à Gasteiz et devance de 10 points le PP, mais n’obtient qu’un seul député. Les autres formations se maintiennent et seul EH Bildu perd plus de 6000 voix.
Dans cette province, la carte électorale est stable. Les yeux de tous les observateurs sont rivés sur le prochain scrutin, les élections autonomiques à l’automne.
Transposer les résultats des législatives du 26 juin à la prochaine échéance est très aventureux, d’autant que les électeurs sont réputés voter de façon duelle: tel parti pour les législatives et tel autre pour les élections régionales.
Mais les partis ne peuvent s’empêcher de faire la projection. Voici le résultat pour le parlement autonome basque: 25 députés Podemos, 18 PNV, 11 PSOE, 10 PP, 10 EH Bildu et 1 Ciudadanos.
Nouvelle génération et chute abertzale
Visiblement, la carte politique basque change. Avec la fin de la lutte armée, émerge une génération plus urbaine, celle des réseaux sociaux et de la mondialisation. Peu marquée par les combats d’hier, elle met en avant de nouveaux acteurs politiques. La Communauté autonome basque vire à gauche et la séparation traditionnelle entre abertzale et espagnolistes s’estompe, le principe du « droit de décider » de son destin n’étant pas remis en cause par Podemos, mais jusqu’à quand?
Sur fond de crise économique et d’immobilisme, une part de l’électorat abertzale dit à ses élus traditionnels: vous ne parvenez pas à vous entendre pour faire bouger les lignes face à un Etat espagnol figé. Nous pensons que Podemos peut y parvenir. Ce nouveau parti représente aujourd’hui l’espoir du changement.
Assistons-nous à une rupture inter-générationnelle ? “Umearen zentzua, etxean entzuna…” se délite. La jeunesse basque d’aujourd’hui dit clairement à la génération précédente que ses méthodes et ses priorités sont ailleurs, elle s’en détourne, elle lui signifie ses échecs. L’incantation et la méthode Coué ont un coût imprévu. La gauche abertzale pourtant issue de plusieurs sensibilités (Batasuna, EA, Aralar, Alternatiba) paye aujourd’hui au prix fort son aveuglement et sa difficulté à muer, hors des schémas d’action classiques de son courant majoritaire: le bulletin de vote et le fusil, le cycle action-répression-action, la manif mensuelle qui se répète à l’infini, camarades encore un effort, les faux espoirs de négociations, etc.
La mutation vers des formes d’action centrées sur la résistance civile, un temps engagée, a fait long feu. Les démarches alternatives, de proximité ou d’expérimentation sociale n’éclosent guère et ne nourrissent pas le politique, tant en termes de projets que de structures de formation ou de passerelles.
Résultat des courses, depuis 2011, la chute du vote abertzale est vertigineuse. Il passe d’un peu plus de 700.000 voix à moins de 485.000 voix cinq ans plus tard. La maison est en flammes, le temps joue contre ses occupants.
Dans un long combat de libération nationale, la transmission de notre projet et de nos motivations d’une génération à l’autre, est essentielle, tant sur le plan politique que linguistique ou culturel, au même titre qu’elle est vitale pour la transmission de l’etxalde dans le monde agricole.
L’abertzalisme n’est pas à l’abri d’un risque majeur, celui de finir comme les radicaux français ou les communistes: une espèce en voie de disparition.
Le défi est de taille.
Se confronter au réel
Un phénomène comme Podemos suscite un immense espoir, tant sont fortes les frustrations, les attentes, la désorientation populaire, la crise économique, la trahison des clercs et l’absence de perspective idéologique ou de projet alternatif. Mais cet espoir peut tourner très vite au mirage, générer encore déception et amertume. Et la baudruche se dégonflera très vite.
On aimerait que Podemos se confronte au réel en exerçant le pouvoir. Rien n’est moins sûr. Il n’est pas parvenu à devancer le PSOE, contrairement à ce qu’annonçaient les sondages. La viabilité d’une coalition de gauche semble exclue en Espagne, même avec l’appui des petites formations “périphériques”.
Avec 14 députés de plus, le PP a progressé ce 26 juin, au détriment de l’ultra-jacobin Ciudadanos Les socialistes perdent cinq sièges, ils arrivent en tête dans seulement trois provinces: Séville, Huelva et Jaen. Podemos domine dans la Communauté autonome basque et sur la moitié de la Catalogne (Barcelone et Tarragone), la partie nord étant dirigée par ERC.
Un gouvernement de droite, pourtant minoritaire, affaibli et corrompu, demain risque fort de diriger l’Etat. Le leader républicain catalan Oriol Junqueras, agacé, soupire: “L’Espagne ne veut pas changer, elle est inapte au changement”.
En Catalogne
Les Catalans avaient à élire 47 députés. Les résultats sont quasiment identiques à ceux de décembre dernier, avec un changement toutefois dans le camp unioniste: le PP a gagné un député au détriment des socialistes. Podemos arrive en tête avec 12 élus, suivi par ERC (9 députés) et CDC (issu de CiU) avec 8 élus. A noter que les indépendantistes d’ERC ont progressé de presque 30.000 voix. Les socialistes obtiennent 7 sièges, le PP 6 et Ciudadanos 5.