Le XVe congrès, en 110 ans d’existence, du syndicat ELA (organisation abertzale aux 100.000 membres) s’est tenu les 24 et 25 novembre 2021 à Bilbao. 166 amendements ont été proposés pour enrichir la motion générale soumise à l’approbation du congrès à l’issue d’un long processus de rédaction collective et de débat qui a duré une bonne partie de l’année 2021. Nous publions ici la traduction en français de l’intervention, faite en euskara par Silvia Guillen, une des déléguées d’Iruñea (Gizalan) au Congrès, pour défendre un amendement portant sur le paragraphe 172 qui traitait de la transformation numérique des modes de production et de consommation, et de la digitalisation de l’économie et de nos sociétés. Son amendement, clairement situé dans une perspective de décroissance juste, a été adopté à l’unanimité.
L’objectif unique de cet amendement est de mettre en évidence que le numérique représente un risque, non seulement par le fait de devenir un outil contre le salariat, mais également par les dommages qu’il cause à la nature et par le dérèglement climatique qu’il aggrave. La pollution engendrée par le numérique a deux axes principaux :
1. D’une part, l’utilisation des outils numériques a une consommation d’énergie beaucoup plus élevée que celle des autres outils : on estime actuellement qu’un email peut produire 50 grammes de carbone. 2,63 milliards d’emails sont envoyés chaque jour. De plus, le stockage d’un e-mail (ou de tout fichier) dans le “cloud” signifie qu’un serveur reste allumé. Cela signifie que des milliers et des milliers de macro-serveurs sont allumés. Autre fait significatif, regarder les vidéos que nous consommons actuellement via le Streaming est aussi polluant que l’aviation civile.
2. D’autre part, le développement des outils nécessaires au numérique est très polluant: outre le processus d’élaboration, il faut prendre en compte le transport des matières premières des régions où elles sont extraites jusqu’aux installations de transformation ou de montage. Notons que les installations de développement de micropuces les plus importantes sont situées en Corée du Sud et à Taïwan, ou dans certains cas aux États-Unis ou en Chine. L’Union européenne considère depuis longtemps que changer ce modèle de développement est un combat perdu d’avance.
L’argument du Capital est que cette pollution serait éliminée en utilisant des énergies renouvelables. Les scientifiques les plus optimistes (Antonio Turiel, par exemple) disent que si nous poussions au maximum la capacité de produire de l’énergie renouvelable, on pourrait quadrupler l’énergie que nous consommons actuellement. Mais il faut garder à l’esprit que les énergies renouvelables ne génèrent aujourd’hui que de l’électricité, et que l’électricité ne représente que 20 % de l’énergie que nous consommons. Autrement dit, la croissance du numérique qui nous est imposée ne sera pas soutenable dans quelques années. Et un autre point important à garder en tête, c’est que la plupart des pays du monde sont loin de connaître un développement du numérique comme le nôtre, et que dans ce domaine aussi, c’est à leur tour de bénéficier de cette croissance.
Ainsi, comme seulement 15 % de la consommation électrique mondiale est aujourd’hui d’origine renouvelable, il faudrait une augmentation significative du développement des puces électroniques et des outils technologiques, avec la pollution que cela engendre et les limites ressources naturelles nécessaires à cette production. Cependant, les scientifiques les plus pessimistes estiment que même avec l’utilisation de toute la capacité mondiale de production d’énergies renouvelables on ne répondrait qu’à 30 à 40 % de la consommation d’énergie actuelle. De plus, l’actualité des puces électroniques et des matières premières de ces dernières semaines n’arrange rien : manque de puces électroniques, hausse des prix des carburants, manque de gaz,…
Compte tenu de tous ces éléments, nous ne pouvons pas du tout adhérer au concept de course vers le numérique vert, car les concepts de numérique et de vert sont contradictoires. La sobriété est le seul moyen de résoudre le problème du changement climatique, compte tenu des limites de la planète, cela passe par la décroissance énergétique et des consommations de toutes sortes. Bien sûr, comme déjà dit, cette décroissance doit être juste, ce qui signifie qu’on ne peut pas l’exiger des pays du tiers-monde, car ils doivent pouvoir enfin connaître les avantages du développement.
Voilà une analyse pertinente : en effet numérique à outrance et vert (ou même actuellement) ne font pas bon ménage quoiqu’en disent nos élites.
De même, il serait temps de songer à partager avec les contrées où le numérique est inexistant afin de les aider à se développer.