Pourquoi je me suis engagé

LuhusoBerhoco
« Mais il s’est passé surtout des choses dehors. Et quand les jours suivant la sortie, je découvre l’ampleur du mouvement, quand je vois la gravité des visages dans les photos des rassemblements et des élus devant la sous-préfecture, je me dis qu’il y a eu une jonction entre une action forte et une attente voire un découragement de la société et des élus dans leur diversité. »

Tout a été dit sur les événements de Luhuso. Mais, au-delà de nos objectifs et des faits connus de tous, je veux exprimer le pourquoi de mon engagement. Je n’étais pas au chômage technique, comme d’ailleurs tous ceux qui se sont impliqués dans cette action. Et pourtant, depuis plusieurs mois, j’ai réservé une partie de mon temps et de mon cerveau disponible à un sujet qui me préoccupe depuis longtemps : les conditions d’une paix juste et durable au Pays Basque.

La déclaration d’ETA, voici cinq ans, de cesser définitivement la lutte armée était une décision attendue depuis tellement longtemps qu’on désespérait. Même si c’est très tard, il n’est jamais trop tard…

J’ai compris dans les conférences pour la paix de Bayonne ou de Paris, dans les forums sociaux, dans les témoignages des personnalités qui ont contribué aux processus de paix en Irlande, en Afrique du Sud ou ailleurs, que la paix est toujours difficile mais qu’elle est toujours possible, qu’elle exige beaucoup de la part de chaque camp. Qu’elle n’est pas une victoire par KO, qu’elle n’est pas une victoire 100% gagnant et 100% perdant, qu’elle n’est pas l’humiliation de l’adversaire, qu’elle ne cautionne le passé ni des uns ni des autres.

La paix n’est pas la paix des cimetières

J’ai compris que la paix est un chemin, que l’ennemi d’hier doit devenir un interlocuteur, que c’est un processus global qui englobe le désarmement, la reconnaissance et la réparation dues à toutes les victimes, la fin définitive de la lutte armée, la libération des prisonniers et le retour des exilés. La paix n’est donc pas seulement l’absence d’attentats, ni la paix des cimetières. La paix n’exclut pas la confrontation, parce que la confrontation c’est la vie !

Mais, il faut que cette confrontation soit démocratique. Tous les sujets qui ont alimenté le conflit armé doivent être traités sur le terrain politique, avec l’expression de toutes les options. J’ai vu des personnalités internationales s’investir pour le processus de paix au Pays Basque, qu’ils soient prix Nobel de la paix, experts en résolution de conflits, magistrats, anciens ministres…

Je me suis dit qu’ils avaient certainement mille choses à faire par ailleurs que de venir à notre chevet. Ils se sont impliqués alors qu’ils n’avaient rien à gagner. Ils ont proposé leurs services à des Etats qui les ont méprisés parce qu’ils n’ont pas daigné les écouter. Mais ils ont surtout dit et répété ce qu’ils ont appris de leurs expériences : combien l’implication de la société civile est importante, et comment la clé du processus global réside dans la façon de gérer le désarmement. C’est tout cela qui m’a amené à faire partie d’un groupe qui s’est mis à réfléchir sur ce que nous pourrions faire, en tant que simples citoyens, pour contribuer à débloquer la situation.

Nous avons mis du temps pour formaliser notre réflexion et analyser le contexte global afin de ne pas venir perturber d’autres éventuelles initiatives en gestation. Cette longue maturation nous a amenés à penser que le moment d’intervenir était venu et qu’il était dangereux d’attendre davantage. Nous nous sommes adressés à ETA, pour proposer notre disponibilité pour des initiatives permettant l’aboutissement du désarmement. Les échanges de courrier sont publics. A partir du moment où l’organisation a accepté notre proposition, il fallait définir un cadre. Celui-ci est très clair : ETA délègue à la société civile la responsabilité politique de la destruction de son arsenal, et annonce même que son objectif est “de pouvoir déclarer dans les plus brefs délais qu’ETA n’est plus une organisation armée”.

Il faut prendre toute la mesure de ce que signifient ces deux engagements d’une extrême importance!

J’ai compris que la paix n’est pas une victoire par KO,
qu’elle n’est pas une victoire 100% gagnant et 100% perdant,
qu’elle n’est pas l’humiliation de l’adversaire,
qu’elle ne cautionne le passé ni des uns ni des autres.

Les lignes ont bougé

Avec de telles perspectives, on a conscience qu’engager le désarmement par la destruction d’une partie de l’arsenal militaire revient à relancer sérieusement le processus de paix. Après mûre réflexion, en toute liberté, conscients que nous étions à l’origine d’une initiative dont nous avions défini les conditions, conscients donc que nous n’étions ni sous-traitants ni instrumentalisés par personne, je me suis engagé dans le cadre d’une vision partagée par le groupe. Puis, il s’est passé ce qui s’est passé : opération policière, quatre vingt seize heures de garde à vue avec le sentiment que nous étions sur le fil du rasoir entre l’accusation grossière de terrorisme qui nous mène au trou, et la motivation de notre action qui, si elle est entendue, nous met en liberté. Cette option l’a emporté et ce n’est pas rien.

Mais il s’est passé surtout des choses dehors. Et quand les jours suivant la sortie, je découvre l’ampleur du mouvement, quand je vois la gravité des visages dans les photos des rassemblements et des élus devant la sous-préfecture, je me dis qu’il y a eu une jonction entre une action forte et une attente voire un découragement de la société et des élus dans leur diversité.

Il n’y avait pas de mise en scène, c’était spontané !

Il faut maintenant prendre acte et avancer, avancer vite ! Je crois que ce qui paraissait impossible hier, peut être possible demain. Je pense que les conditions peuvent être réunies. A condition que ceux qui doivent s’impliquer veuillent bien s’impliquer !

Oui, les lignes ont bougé, bien au-delà du Pays Basque aussi.

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