En quatre ans, de juin 2018 à octobre 2021, le gouvernement espagnol a accordé la liberté conditionnelle à 28 prisonniers de guerre basque. Le gouvernement autonome basque obtient fin 2021 la compétence en matière de gestion des prisons. En cinq mois, 18 ex-membres d’ETA bénéficient de cette mesure de liberté conditionnelle. Deux d’entre eux retournent à la case prison, la démarche n’a pas abouti parce que révoquée par l’audiencia nacional qui garde la haute main sur la politique pénitentiaire. Ces deux peso n’avaient pas exprimé une demande de pardon selon une formulation qui convenait aux magistrats espagnols. Il en fut de même pour trois libertés conditionnelles accordées par l’administration pénitentiaire espagnole et remises en cause à partir d’octobre 2021 par l’audiencia nacional.
Cette évolution favorable et bien lente n’a rien de systématique, du bricolage diront certains, elle s’applique à Xabier Atristain réincarcéré par l’Espagne le 2 juin. Il a pu quitter sa cellule avec un fil à la patte, alors que la Cour suprême refusait d’appliquer une décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui autorisait son élargissement.
Mais une musique toute autre se fait entendre. A la demande des associations de victimes, l’audience nationale réouvre ces derniers mois sept dossiers concernant plusieurs anciens dirigeants d’ETA à la tête de l’organisation armée basque à l’époque de plusieurs attentats importants : meurtre de Miguel Angel Blanco élu PP d’Ermua en 1997, attentat à l’aéroport Barajas de Madrid (2004) et au commissariat d’Ondarroa (2008), meurtre de Gregorio Ordoñez, élu PP de Donostia en 1995, etc. Un procureur de l’audiencia nacional demande que José Antonio Urrutikoetxea soit condamné à 2354 années de prison pour un attentat organisé par ETA en 1987, à la caserne de la guardia civil de Saragosse. Aucun élément factuel ne permet d’affirmer que ces dirigeants sont les auteurs concrets de ces violences, ils sont accusés de n’avoir pas agi pour les éviter. Rien n’indique quelle suite sera donnée à ces dossiers, cet acharnement judiciaire est d’autant plus inquiétant que la droite risque demain de revenir au pouvoir. Avec en perspective la volonté de prolonger le conflit ad vitam aeternam. Pourquoi pas jusqu’au siècle prochain, en poursuivant les descendants des commanditaires supposés des attentats?
Politiques de vengeance
Ainsi va un « processus de paix » qui n’en est pas un, avec ses aternoiements, ses avancées partielles et relatives, ses contradictions. Le désir de vengeance d’une partie de l’appareil d’Etat, certains corps constitués, une fraction de l’opinion publique organisée en lobby, tous freinent des quatre fers contre les politiques d’apaisement. Ils rejettent toute hypothèse de justice transitionnelle. En bafouant leur propre légalité, alors qu’ils se réclament tant de l’État de droit, de la loi et de la démocratie. Une justice politique, une justice des vainqueurs est à l’oeuvre. Une parodie de justice qui n’a de justice que le nom. Ces magistrats zélés n’appliquent pas le droit, ils poursuivent un combat à partir de leurs convictions politiques, leur appartenance nationale. Les nationalismes espagnols et français qui n’avouent jamais leur poids dans cette affaire, sont extraordinairement prégnants. Sans le dire, tous savent bien que le fond de la question est là : la question nationale, le partage de la souveraineté. Nous n’avons ici que la version judiciarisée de cet affrontement.
Baltazar Garzón, juge emblématique de l’audiencia nacional, poursuivit de sa vindicte et pendant des décennies, de très nombreux militants basques, il interdit le journal Egin comme le fit plus tard un de ses collègues pour le quotidien Egunkaria, refusa d’entendre toutes les dénonciations de torture, y compris celles subies par des intellectuels et des journalistes. Il est aujourd’hui avocat. A Avignon dans un débat organisé par Amnesty international le 17 juillet, B. Garzón a été touché par la grâce, tel Saul sur le chemin de Damas. Il déclare prôner «une justice restaurative» afin d’assurer la non-répétition du conflit au Pays Basque. Toute honte bue. Il s’inscrit dans une série de personnages, l’ex-ministre de l’intérieur Pierre Joxe, l’ex-ministre de la justice Christiane Taubira, l’ex-juge de la Cour nationale du droit d’asile François Sureau, ils disent aujourd’hui le contraire de ce qu’ils ont fait lorsqu’ils étaient aux commandes. Ils font les beaux en se refaisant une virginité à peu de frais. C’est insupportable. Qui sera le prochain ? Laurence Levert dans un instant d’égarement ? Jean-Yves Montfort qui fit condamner Enbata (Jakes Abeberry) et Oroit eta sala (Jakes Bortayrou) à payer d’énormes sommes, pour avoir révélé la connivence entre policiers français et GAL? Les juges actuels du parquet national antiterroriste nous feront-ils dans vingt ans le coup du repentir, version « chemin des morts » ? (1)
(1) Titre du roman de François Sureau : https://eu.enbata.info/artikuluak/un-magistrat-francais-emprunte-le-hil-bide-de-sa-victime
M. Duny Pétré, vous avez sans peine deviné à la suite de mes quelques petites contributions au courrier des lecteurs d’ Enbata que je ne suis pas abertzale. J’ ai cependant participé à la manif de Bayonne et au blocage de samedi pour m’ opposer à cette scandaleuse politique de vengeance de l’ Espagne et de la France envers les militants d’ ETA.
Par contre je suis toujours désolé par le manque d’ autocritique de votre camp vis à vis du choix de la poursuite de la lutte armée après la mort de Franco, et surtout de la rupture des deux trèves par ETA. Ce jusquauboutisme est en partie responsable à mon avis de la situation inextricable des presos, situation qui pourrait s’ aggraver avec un gouvernement PP-Vox-Ciudadanos en Espagne.
Merci de me répondre en personne sur ces points dans le courrier ou à l’ occasion d’un article futur.
Cordialement
Je vous donne en partie raison. D’autant plus facilement que l’organisation politique proche de Herri Batasuna pour Iparralde et à laquelle j’ai appartenu, Euskal Batasuna, à moment donné s’est montrée critique à l’égard d’ETA : elle a pour la première fois publié un communiqué fort dur, au début des années 90, après un attentat commis par ETA dans un supermarché à Vallecas près de Valence, qui avait vu la mort d’une cliente du magasin. J’étais le rédacteur de ce communiqué.
Le journal Enbata auquel je contribue depuis longtemps, publia un éditorial sous la plume de Jakes Abeberry, deux jours après le meurtre du conseiller municipal PP de Donostia, Gregorio Ordoñez, le 23 janvier 1995. Ce texte condamnait ouvertement cette action d’ETA. Il nous a valu beaucoup de critiques de la part de la gauche abertzale classique et à l’inverse, aucun soutien de la part d’autres forces politiques, quelles soient basques ou françaises. L’histoire a montré par la suite que nous avions eu raison trop tôt. Mais il est vain de refaire l’histoire avec des si ou de donner des leçons aux acteurs abertzale de l’époque.
L’histoire de toutes les luttes de libération nationales est faite de pages glorieuses et d’autres qui le sont beaucoup moins. Il en est de même pour l’histoire des peuples, ne parlons pas de celle des Etats.
Il y a quelque chose que je n’oublierai jamais. En 1996, Enbata est au bord du gouffre, près de disparaître, suite à une condamnation en diffamation d’un tribunal parisien. Nous devons payer une somme astronomique, plus que notre budget annuel, pour avoir dénoncé la collusion d’un commissaire de police français avec le GAL. Les seuls qui nous ont soutenu dans cette affaire sont les formations « proches » d’ETA. Un avocat lié à cette mouvance, Didier Rouget, nous a même proposé de nous défendre bénévolement sur ce dossier auprès de la Cour européenne de droits de l’homme. Et ce malgré notre attitude très critique à l’égard des attentats d’ETA qui se poursuivaient. Dans le prisme politique, qu’il soit basque ou français, personne d’autre n’est venu nous aider. C’est dans ces épreuves que l’on mesure véritablement qui sont vos amis politiques, envers et contre tout.
Pour toutes ces raisons et d’abord parce que c’est inutile, je ne vais pas ressasser le passé à longueur de colonnes, donner des leçons a posteriori toujours très faciles à administrer à ceux qui mouillent la chemise, hier, aujourd’hui, demain, qui s’engagent, qui prennent des risques. Comme d’autres, les abertzale font ce qu’ils peuvent, le mieux qu’ils peuvent, avec leurs moyens et dans le contexte de leur temps. Ce qui me relie à ma famille politique depuis l’âge de 17 ans est beaucoup plus fort que les désaccords que je peux avoir avec elle, ce ne sont qu’épiphénomènes dans un combat très difficile. Ce n’est pas à près de 70 ans que je vais changer, je mourrai sans doute avec les mêmes convictions.
Et bravo pour avoir participé au blocage de samedi, malgré vos critiques et les divergences de point de vue. Cette attitude vous honore.
Le virage de l’arrêt de la lutte armée a été effectivement très difficile à prendre. C’est beaucoup plus compliqué que finir une grève… Dans l’affaire basque, un facteur nous a beaucoup handicapé : le meurtre par les Espagnols de deux de nos leaders politiques majeurs. Il s’agit des députés Santi Brouard, assassiné en 1984 et de Josu Muguruza, assassiné cinq ans plus tard. Gerry Adams disait que dans le processus de paix irlandais, il avait passé plus de temps à convaincre ses amis que ses adversaires. A n’en pas douter, pour mettre en oeuvre la mutation complexe qu’est l’arrêt de la lutte armée basque et la négociation qui va avec —donc les concessions— des leaders de poids pour convaincre et entraîner l’adhésion, nous ont fait cruellement défaut. Notre ennemi les a systématiquement éliminés. C’est un point d’histoire que beaucoup oublient.
Arnaldo Otegi et un petit groupe de militants sont parvenus malgré tout à réaliser ce tour de force en quelques mois et entre deux longues incarcérations du chef de file, dans des conditions rocambolesques. Nous les avons décrites en détail dans ces colonnes. Ce fut un petit miracle. Les Espagnols ne voulaient pas que s’arrête un conflit de (très) basse intensité. Il servait leurs intérêts politiques. Comme leur sert aujourd’hui l’acharnement à l’encontre les preso au nom des victimes, avec pour enjeu en toile de fond, la nécessité de plomber le souverainisme et de récrire l’histoire. Plus personne n’ose écrire aujourd’hui que tous les preso et ex-preso sont d’abord des combattants, des gudaris. Quels que soient les crimes dont ils sont accusés, leurs motivations sont purement politiques et s’inscrivent dans une lutte de libération nationale.