Le conseiller régional breton UDB Nil Caouissin propose une taxe régionale modulée et progressive, selon plusieurs formules. Avec le souci d’éviter effets indésirables et injustices, elle permettrait de s’adapter à la complexité des situations.
Auteur d’un ouvrage remarqué, Manifeste pour un statut de résident, Nil Caouissin récidive aujourd’hui avec un ouvrage sur une question à l’ordre du jour en Iparralde : quels moyens inventer pour lutter contre la prolifération des résidences secondaires qui privent les populations locales de logements aisément accessibles ? Le but est de résorber la part de ce type de logement à l’aide d’un bon levier fiscal pour augmenter le parc des résidences principales et donc contribuer à résoudre la crise immobilière sans artificialiser des sols agricoles ou naturels par de nouvelles constructions.
La réflexion de Nil Caouissin prend pour point de départ un impôt existant, la taxe d’habitation qui a été maintenue pour les résidences secondaires. Dans les zones tendues, la part communale de cette taxe peut être majorée de 60%. Mais l’effet de cette augmentation demeure relatif. À cet égard, l’exemple de la ville de Saint-Nazaire est éclairant : une majoration au taux maximum lui permet de collecter 800.000 euros par an, ce qui correspond au montant des acquisitions foncières de la cité et donc, ajoute quelques moyens supplémentaires à sa politique foncière. Mais l’effet incitatif est faible : entre 2014 et 2016, le nombre de ses résidences secondaires augmentait de 4,6% par an, et ce taux s’est réduit à 2,5% par an entre 2017 et 2021. La mesure ne permet donc pas de diminuer efficacement leur nombre. L‘explication se trouve sans doute dans le niveau élevé de richesse des propriétaires. Cet exemple est confirmé à Marseille où le taux maximum est appliqué. Selon une agence immobilière locale, « le taux de 60% n’est pas énorme, compte tenu du revenu procuré par Airbnb qui est extrêmement rentable, donc cela ne va pas freiner les investisseurs ». Comme il s’agit d’une surtaxe communale, le risque est aussi d’assister à une concurrence entre communes touristiques pour attirer les résidents secondaires, gage de rentrées fiscales conséquentes.
En Corse et au Pays de Galles
D’où la proposition de Nil Caouissin : une taxe d’habitation régionale sur les résidences secondaires à la place de la taxation municipale. Une société d’étude, recherche et prospective en imagine le montage juridico-financier. Le projet est proposé en 2022 par plusieurs élus de gauche au Conseil régional de Bretagne, pour l’instant en vain. Par ailleurs, en février 2022, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une loi qui ouvre la porte à une taxation sur les résidences secondaires et contre la spéculation en Corse. Enbata s’en est fait l’écho ici.
Le texte accorde à la collectivité de Corse un droit de préemption portant sur les transactions dépassant 350.000 euros. Ce droit permettrait de favoriser l’accession au logement qui serait financée par une taxe sur les résidences secondaires ayant une valeur de 350.000 euros et plus, dans la limite de 1% maximum de cette valeur, hors biens indivis. Cette loi n’est pas encore définitivement adoptée.
Au Pays de Galles, les autorités pouvaient aller jusqu’à 100% de majoration de la taxe sur les résidences secondaires et les logements vacants. En mars 2022, le gouvernement autonome travailliste, soutenu par la gauche indépendantiste galloise de Plaid Cymru, a augmenté cette possibilité, à hauteur de 300% de majoration. Chacun l’aura compris, la grande question est celle du niveau de taxation. On peut supposer que taxer les biens les plus chers atteint les propriétaires les plus riches, mais cela peut pousser les investisseurs à des acquisitions de biens de petite taille, donc moins chers, mais plus nombreux.
Un principe et deux objectifs
Compte tenu des risques d’injustices ou de dérives et autres effets imprévus que détaille Nil Caouissin, celui-ci propose la création d’une taxe régionale modulée et progressive avec un principe et deux objectifs. La justice est le principe, il repose sur le souci de ne pas pénaliser les personnes les moins riches. Le calcul de la taxe prend donc en compte le patrimoine total du propriétaire : il s’agira de taxer les plus riches.
Le premier objectif a un caractère incitatif : le niveau de taxation doit avoir pour effet de pousser les propriétaires à mettre leur bien en location à l’année ou à le revendre. Dès lors, l’augmentation de l’offre aura plusieurs conséquences : une baisse des prix de vente des biens et une diminution ou une stagnation du montant des loyers. Deuxième effet : des facilités accrues pour se loger en location à l’année ou pour accéder à la propriété. Enfin, par effet indirect, une baisse de la pression sur le logement social.
Le deuxième objectif est de limiter les résidences secondaires dans les zones où elles sont trop nombreuses, donc de tenir compte des disparités territoriales dans la fixation du montant de la taxe.
Nil Caouissin pousse sa démonstration jusqu’à modéliser le calcul de la taxe par des formules mathématiques tenant compte du principe et des deux objectifs. Il propose deux formules différentes de calcul, accompagnées de variantes et modulables, grâce à un plafonnement. Il les teste à l’aide d’exemples concrets, tant en ce qui concerne les niveaux de patrimoine des contribuables, qu’en fonction des zones géographiques variables selon la densité des résidences secondaires. Nous ne les présenterons pas ici, mais ce chapitre du livre témoigne de la finesse d’analyse de l’élu breton et de son souci de présenter le sujet dans sa complexité. Il évite d’élaborer une proposition figée et laisse ouvert le débat sur les niveaux précis de taxation et de progressivité à retenir.
Ressources fiscales pour une politique du logement
Le résultat de l’ensemble du dispositif est de générer des rentrées fiscales importantes permettant de développer une maîtrise immobilière et une politique du logement massive. L’auteur propose la création d’un fonds régional assorti d’un droit de préemption permettant d’acquérir de nombreux logements dans les zones tendues et de les revendre ensuite sous la forme de baux réels solidaires. La Région de Bretagne dispose d’un Établissement Public Foncier qui aide les communes à mener des projets immobiliers. Ses moyens financiers et ses champs d’intervention pourraient être étendus grâce à ces nouvelles ressources fiscales. Comme pourraient être accélérés les efforts en matière de réhabilitation des logements et de lutte contre l’habitat indigne.
Nil Caouissin rappelle que le département dispose d’une ressource assise sur les transactions immobilières et nous savons, concernant le Pays Basque, que son montant a fortement crû ces dernières années. Il conviendrait de récupérer ces moyens financiers pour diversifier le panier fiscal et s’en servir dans le cadre d’une politique du logement plus efficace dans les communes où la situation est la plus tendue.
Le statut de résident proposé hier par l’auteur peut accélérer les effets d’une taxation modulée et progressive sur les résidences secondaires. Les deux mesures peuvent se combiner et même constituer un triptyque avec la régulation des locations touristiques. Nil Caouissin pense que, mises en oeuvre isolément, l’effet de chacune de ces mesures risque d’être relativement faible. En revanche, le trio permettra de régler une bonne partie de la crise du logement, surtout si le produit de la taxe finance une politique sociale et écologique du droit au logement. Plutôt que de « rester arqué sur des postures », il propose à titre de test une phase d’expérimentation des trois mesures.
Nil Caouissin, Taxer les résidences secondaires ?, Presses populaires de Bretagne, 68 p., 2022, 8 euros.