La forte augmentation de la population d’Iparralde annoncée pour les années à venir, tropisme côtier oblige, est-elle déjà à l’oeuvre? La multiplication des chantiers immobiliers ces derniers temps, semblerait le confirmer. Doit-on s’en émouvoir ou bien réfléchir à la meilleure façon de gérer ces mutations? Dans le domaine du foncier et du logement un nécessaire équilibre doit être recherché.
Ces derniers temps, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’entendre des gens (parmi eux des abertzale) me dire à quel point ils étaient furieux devant les constructions massives qui se multiplient dans nos villes, qui dénaturent ces dernières et en noient les habitants. Dans ces réflexions, à mon avis il y a à boire et à manger.
Loger tout le monde
C’est vrai, sur la côte et le Labourd intérieur surtout, nous sommes dans un territoire et à une époque où les chantiers immobiliers se multiplient, de Marinadour (Bayonne) à Camieta (Urrugne), de Zubiartean (Hendaye) à Ibarron (Saint-Pée), d’Alturan (Saint-Jeande-Luz) à Montaury (Anglet), pour n’en citer que quelques-uns. Sans même entrer dans le débat de savoir s’il y a assez de social ou pas – j’ai peur de lasser le lectorat d’Enbata à force –, ce qui m’interpelle ici est plutôt le volet paysager ou urbanistique de la question, car souvent les réflexions s’arrêtent à ce niveau-là : “10 étages à Anglet, c’est de la folie !” ; “tout un lotissement là où avant c’était si tranquille !” ; “on est en train de massacrer ce pays !”.
Ces réflexions, je les comprends : elles traduisent un attachement à une certaine vision du Pays Basque, celui de notre enfance, de nos parents ou grands-parents, celui de ces cartes postales qu’on dénonce chez les professionnels du tourisme mais auxquelles on est secrètement attaché.
Sauf qu’au Pays Basque comme ailleurs, les temps changent et les courbes de la démographie aussi. Ces dizaines de milliers d’habitants supplémentaires qu’on nous promet d’ici à 2030, qui seront parfois nés ici, parfois venus d’ailleurs (peu importe), il faudra bien les loger !
Là réside la première question sous-jacente à ces réflexions : le fait de porter un regard négatif sur les nouvelles constructions s’arrête-t-il à une question esthétique ou remet-il en cause le principe même de l’installation de nouveaux habitants ? Car si tel est le cas, cela poserait d’insondables questions politiques (sans parler de philosophie ou de morale) : pas de nouveaux habitants ou pas tous ? Si oui, combien et sur quels critères les “sélectionner” ? où les mettre puisqu’il est évident que ce ne doit pas être devant sa propre fenêtre ? comment empêcher le “surplus” de venir quand même, rappelant que l’immobilier est avant tout un marché libre ?
Tout cela nécessite une réflexion qui peut parfaitement être légitime si elle se fonde sur des principes suffisamment clairs. Le risque serait en effet –même le plus innocemment du monde– de tomber dans ces mêmes logiques xénophobes qu’on dénonce si légitimement par ailleurs lorsqu’elles sont formulées par le FN ou certains membres de la droite dite “républicaine”.
Cette réflexion saine, c’est celle de l’aménagement du territoire tel qu’on le souhaite pour l’avenir, tel qu’il s’anticipe avec des méthodes et des outils adéquats, afin de le porter et non le subir.
Figer ce pays ?
Mais ce n’est pas la seule chose que tout cela m’inspire. Tout d’abord, il me semble bon de rappeler encore que la construction de toujours plus de logements n’est pas une fatalité, quand on rappelle le nombre de logements sous-occupés du fait de la “vocation” touristique de ce territoire. Entre une disparition pure et simple mais illusoire de toutes les résidences secondaires et des taux de près de 50% dans certaines communes, il y a sûrement un équilibre à trouver, qui permettrait de mieux utiliser les logements existants avant d’en construire davantage. Par effet vertueux, cela préserverait les fonciers agricole, artisanal ou naturel, qui font les frais du diktat immobilier.
Une fois ceci rappelé, il ne faut pas pour autant penser que l’on pourra répondre à tous les besoins sans construire un minimum. Or les critiques sont tellement récurrentes et si souvent portées par les mêmes logiques paysagères qu’on ne peut s’empêcher de penser qu’elles traduisent en réalité un fort conservatisme. Comme si ce pays ne devait surtout pas évoluer, mais au contraire se figer au risque de perdre son âme.
Il faut le rappeler: un pays qui veut se figer est un pays qui dans le pire des cas meurt, ou dans le moins pire subit les changements faute de vouloir les gérer lui-même.
Or qu’on le veuille ou pas, le littoral labourdin n’est plus une enfilade de petits ports de pêche, c’est le nord d’une grande conurbation qui court au moins de Donostia jusqu’à Bayonne. On est en ville, et une ville s’assume jusque dans ses densités, surtout lorsque l’on se trouve en bordure de route nationale et non sur le front de mer.
De même, on devrait pouvoir être assez intelligent pour savoir adapter l’urbanisme aux nouvelles fonctions d’un bourg ou d’une petite ville sans en trahir l’esprit. A cet égard, malheureusement, il est évident que le passé récent a produit des réussites autant que d’atroces dérives, comme à Ibarron.
Les critiques sont tellement récurrentes
et si souvent portées par les mêmes logiques paysagères
qu’on ne peut s’empêcher de penser
qu’elles traduisent en réalité un fort conservatisme.
Derrière les murs, les enjeux
Tout cela pour conclure que chaque opération immobilière choquera favorablement ou défavorablement, mais choquera de toute façon, parce qu’elle bouleverse un paysage qui nous était familier. On peut toujours changer un disque ou fermer un livre, mais un immeuble ou un quartier s’imposent constamment et durablement à nos yeux. Ce n’est donc pas anodin.
Mais s’il est parfaitement normal de pouvoir dire que c’est beau ou que c’est moche, si cette exigence esthétique devrait même être une évidence, il faut aussi garder à l’esprit que derrière ces murs se cachent d’énormes enjeux à affronter rationnellement et éthiquement (éthique au sens pluriel : social, écologique, politique…). Cela ne veut pas dire qu’il faut tout accepter, ni au contraire tout rejeter ; cela veut juste dire qu’il faut veiller à envisager tous les aspects et si possible se poser les bonnes questions surtout quand on est élu, le mieux étant évidemment pour ces derniers de le faire avant d’accorder un permis de construire.
Si vous souhaitez vous faire une idée précise de l’évolution de l’emprise urbaine sur le littoral depuis 1965, soit en 50 ans, rendez vous sur cette animation du Conservatoire du littoral :
http://www.conservatoire-du-littoral.fr/91-carto-3d-animee.… Édifiant…