Vidéo : Au Biltzar des écrivains à Sare, de gauche à droite : Eñaut Etxamendi, Peio Ospital, Pier Paul Berçaitz, Colette Larraburu, Peio Etcheverry-Ainchart, Panpi Lacarrieu, Eneko Labéguerie, Joanes Borda, Beñat Sarasola, Pantxoa Carrère.
Le livre de Colette Larraburu fait le portrait d’une époque, l’éveil d’Iparralde à la fin des années 60, puis la fin du franquisme. A partir des souvenirs des chanteurs basques, acteurs de ces périodes charnières.
Journaliste et auteure de plusieurs livres sur le Pays Basque, Colette Larraburu a mené l’enquête. Elle est partie à la rencontre des chanteurs d’Iparralde qui ont émergé à la fin des années 60.
En contextualisant leurs récits, elle dresse le panorama d’une époque intéressante entre toutes, le réveil d’une nation chloroformée, écrasée.
Au Nord, le conservatisme, fait de sclérose traditionnelle sous la férule de l’église et des notables, sur fond de fatalité économique, de reniement et de honte de soi.
Au Sud, la chape de plomb du franquisme qui se fissure. Tout cela au travers d’un prisme, celui d’une génération particulière, celle des chanteurs basques. Le tableau qu’elle présente aboutit à un livre, à la croisée de plusieurs chemins : culture, langue, sociologie, politique, musique, chant et même ethnologie. Il ne s’agit en rien d’une lourde thèse qui tenterait de cerner un Pays Basque en mouvement, mais plutôt d’un reportage écrit d’une plume alerte et élégante.
En Iparralde, comment devient-on abertzale en 1965, alors que ceux-ci se comptent presque sur les doigts de la main ? Nous devrions plus souvent nous poser cette question dans le Pays Basque d’aujourd’hui. Colette Larraburu nous apporte la réponse concernant quelques pionniers qui, avec tout leur talent, ont apporté leur pierre à l’abertzalisme, à la conscience nationale d’un petit peuple promis à une disparition programmée. Un tel phénomène s’inscrit dans un réveil plus large, il va du théâtre au bertsularisme, en passant par l’économie, l’écologie et l’enseignement.
L’auteure articule son écoute bienveillante des artistes sur les faits politiques, économiques et culturels qui secouent notre pays et constituent le terreau de leur énergie créatrice. Nous avons là, non seulement un voyage dans le temps, mais aussi sur les sentiers de la création, dans l’alchimie qui fait que des créateurs, avec le passé et le présent qui les habitent, rebondissent sur les évènements et créent du neuf. Comment, leur sensibilité et la maîtrise de leur art traduisent une époque. Comment, ils contribuent aussi aux mutations que nous appelons de nos vœux. Comment dans un mouvement abertzale agité par des contradictions redoutables et des conflits de chapelles, ils nous ramènent à l’essentiel : être fidèles à nos ancêtres, construire la maison commune.
De la censure à la ferveur
Le conformisme, le poids des pesanteurs sociales et culturelles étaient tels, que l’esprit de rébellion était nécessaire en ces temps héroïques. Violence et révolte, soif de liberté, allaient de pair. Une poignée d’hommes, Michel Labéguerie, Etxamendi et Larralde, Pantxoa Carrère et Peio Ospital, le groupe Guk, Manex Pagola… font partie de ces défricheurs, à l’avant garde d’un mouvement.
Mais il n’y a pas qu’eux. Nous avons aussi des écrivains, des poètes, des arrangeurs, des musiciens, des éclairagistes, autant de petites mains anonymes, ainsi que les artistes de Hegoalde où un réveil équivalent se produit dans un tout autre contexte, fait de censure et de ferveur. Nous ne tenterons pas de les citer tous, de crainte d’en oublier.
Le mérite du livre de Colette Larraburu est de nous faire comprendre et ressentir un processus à l’œuvre. Une minorité active s’adresse au public avec des moyens bien dérisoires, ceux de la poésie de la musique. Elle convainc plus par le cœur, la sensibilité et l’émotion, que par l’argumentation ou le discours rationnel. Partir de la culture populaire, la revisiter parfois, intégrer des apports, manier les images, les sons et l’humour, poétiser l’abertzalisme… vaste programme auquel elle s’attelle.
Un combat tel que le nôtre n’est pas que politique, il se situe aussi et peut-être d’abord sur le plan culturel. A plus forte raison, dans une lutte de libération nationale. Les nouveaux chanteurs d’Iparralde, forts d’une détermination, d’un enthousiasme inouïs, nous en apportent la preuve. Il eut été dommage que cela tombe dans l’oubli, apparaisse en 2022 comme tout simplement « naturel ». Des hommes —bien peu de femmes, il est vrai— ont dit non, se sont levés, ont donné de la voix. Cela méritait le beau livre de Colette Larraburu. Son coup de projecteur leur rend hommage.
Ce premier élan n’aurait pu être qu’un feu de paille sans lendemain, on l’a vu ailleurs. Les graines semées dans les années 60 et 70 ont germé. Le miracle est que la flamme allumée par nos poètes chanteurs ait été reprise par les générations suivantes. « Gu gira Euskadiko gazteri berria », la nouvelle jeunesse d’Euskadi annoncée par Michel Labéguerie n’a pas démérité. Comme d’autres abertzale, ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.
+ Colette Larraburu, Quand nous chantions sous Franco, Elkar, Bayonne, 2021, 198 p., 2021, coll. Histoire.
Ils répondaient toujours présents : Extrait du livre de Colette Larraburu, le témoignage d’un militant abertzale des années 70. (à découvrir dès le 28/2/2022 en cliquant ici).