Si Enbata choisit aujourd’hui de lancer une réflexion sur la notion d’abertzale, ça n’est pas que pour fêter un anniversaire. Du moins, je crois.
C’est aussi parce que honteux, ou glorifié, le mot ne laisse pas indifférent, et interroge chacun des abertzale sur sa place en politique et celle de l’abertzalisme dans le monde.
Honteux, parce que comme le scotch du capitaine Haddock qu’on arrive pas à se décoller du doigt, abertzale renvoie au concept de nation, à l’idée, l’idéologie de nationalité, de nationalisme. Et tout le poids de l’histoire que traînent avec eux tous ces termes. «Ah ! Alors, vous êtes nationaliste basque ?» Qui n’a pas eu à répondre à cette question, en forme de questionnaire médical sur les maladies honteuses ? La plupart du temps dans les débats, on se perd en circonlocutions «Oui, mais non, enfin c’est pas pareil…».
C’est pas pareil, parce que dans les deux cultures politiques dominantes en Pays Basque, les nacionalistas portaient des chemises bleues et aujourd’hui encore lèvent le bras tendu pour saluer Franco, ils ont assassiné, bombardé, déporté soumis au travail forcé les Basques qui avaient le seul tort d’être Basques.
Tandis que les nationalistes sont la plupart du temps rassemblés dans un front tout aussi extrémiste et que la nation éclairée a perverti la notion d’égalité en abolition des différences, culturelles ou linguistiques, en incisant une cicatrice géante dans la conscience de ce pays.
Au-delà des considérations politiques, la nation objective, minorisée, soumise à l’épreuve de la honte, est aussi celle dont beaucoup de basques ont voulu se défaire jusqu’au virage des années 60-70.
Mais si elle devient subjective à la Renan, la nation, la patrie des patriotes est alors glorifiée et revendiquée.
Oui mais on est déjà bien loin de la question de départ que pose Enbata « Qu’est-ce qu’être abertzale aujourd’hui ? ».
C’est aussi parce que ce terme de «nation» ne convient pas tout à fait. Et on voit bien que si on a tant de mal à dire ce qu’est être abertzale, -en dehors de l’explication sémantique, celui qui aime aberria– c’est aussi parce qu’aberria n’est pas le synonyme exact de «patrie».
Alors pour expliquer à celui qui demande «comment peut-on être abertzale ?» chaque abertzale fait son Montesquieu et parle de l’agriculture, de l’installation des jeunes, de la langue, des ikastola, de la guerre civile qui chez nous s’appelle guerre d’Espagne, de ce qui rassemble par delà la Bidassoa, et de ce qui distingue des deux côtés de l’Adour ; des noms de famille et noms de maison, des provinces, de la diaspora, de la gastronomie, des chants, des pêcheurs et des paysans, des bertsolaris et des danses, du fer de Biscaye et des brebis manech…
Bref, chacun partage son rêve, ou son idéal.
Un Etat, une autonomie, un pays, une collectivité.
Chacun est basque à sa façon mais partage le désir de le rester.
Pour moi, c’est là qu’est la réponse. Comme Machado qui crée son chemin en marchant, chaque abertzale, rêve sa patrie particulière, sans qu’un code de la nationalité, un passeport ou une carte d’identité puisse l’en empêcher.
C’est le privilège des nations en devenir. S’il reste encore un peu de rêve en politique, c’est là qu’il est, c’est ce qui fait la force du mouvement abertzale.
Bixente VRIGNON