Au lendemain des deux grandes manifestations en faveur des preso à Bilbo et Baiona, l’accord intervenu entre l’accusation, les parties civiles et les 35 co-accusés de l’opération 04/08 de Garzon en 2008 a surpris beaucoup de monde. Mais cette issue négociée influera-t-elle sur la politique carcérale de Madrid et Paris vis à vis des prisonniers basques?
Les manifestations massives du 9 janvier de Bilbao et de Bayonne ont montré à nouveau, si besoin en était, le potentiel de mobilisation existant en faveur des prisonniers politiques basques. Pour ce qui est de la manifestation de Bayonne, elle a été soutenue par des élus, et en particulier, des grands maires de tous bords : centristes, républicains, socialistes, communistes, et bien sûr abertzale. La question des prisonniers n’a jamais fait une telle unanimité en Iparralde, et seules quelques rares problématiques réussissent à faire défiler autant de monde dans les rues.
La semaine suivant la manifestation, l’annonce à Madrid d’un accord entre les accusés, l’Audiencia Nacional et les parties civiles, a mis un terme à l’une des nombreuses procédures visant l’activité politique de la gauche abertzale, laissant en liberté tou-te-s les militant-e-s visé-e-s dont deux d’Iparralde : Aurore Martin et Haizpea Abrisketa. Cet accord est un précédent. Côté Madrid, quelque chose a bougé. Mais c’est un frémissement, une légère (et première ?) inflexion dans la stratégie répressive maintenue par le PP depuis Aiete.
Côté Paris ? En septembre, Christiane Taubira avait annoncé que des mouvements seraient réalisés au niveau du rapprochement des prisonniers politiques basques. Depuis rien.
Dispersion et éloignement
Le statu quo de ces dernières années se prolonge. La fin de la lutte armée est pourtant actée depuis longtemps, et dans un entretien publié dans Gara (voir Gara du 15.12.2015), le dirigeant d’ETA David Pla a réitéré encore récemment la disposition de l’organisation armée à participer à un processus ordonné de désarmement.
Ce contexte aurait dû ouvrir la voie à un processus séquentiel de libération de l’ensemble des prisonniers tel qu’il est proposé dans la Déclaration de Bayonne élaborée par des responsables politiques d’Iparralde de tous bords aux lendemains d’Aiete.
Pourtant, les prisonniers basques continuent encore de faire l’objet de mesures d’exception, c’est-à-dire d’une non application des propres lois actuelles de l’Etat français.
La dispersion et l’éloignement des lieux de détention restent de règle. Des prisonniers gravement malades comme Ibon Fernandez Iradi ne sont pas libérés. Les demandes de libération conditionnelles sont systématiquement refusées, non pour des raisons juridiques, mais bien pour des motifs strictement politiques, comme l’explique la juriste Martine H.Evans (voir son article dans la revue AJ pénal sur le site de Bagoaz : www.bagoaz.eus) au travers du concept de “désistance” (c’est-àdire le fait de renoncer à sa culture et à ses idées politiques).
Aujourd’hui, tous les regards sont braqués sur le cas de Lorentxa Guimont. Atteinte de la maladie de Crohn, son état de santé est extrêmement préoccupant. En novembre dernier, sa demande de libération a été acceptée en première instance, mais le procureur a fait appel.
La décision concernant cet appel sera connue le 25 février. Soulignons que le dossier médical de Lorentxa Guimont a recueilli l’avis d’un des meilleurs spécialistes en France de la maladie de Crohn. Son diagnostic est catégorique : Lorentxa est dans un état de santé critique, et son maintien en détention ne peut que le détériorer très gravement. Dans des déclarations faites à la presse, son frère Patxiku résume ainsi la situation : “ma soeur est littéralement en train de pourrir de l’intérieur”…
Brutalité sans nom
C’est le procureur qui a fait appel à la décision de libération de Lorentxa. Or, il faut rappeler que le parquet anti-terroriste dépend directement du ministère de la justice. Ainsi, on ne peut pas croire deux secondes que le pouvoir politique n’ait aucun moyen d’intervention vis-à-vis des procureurs. Il y a donc une lourde responsabilité politique du gouvernement socialiste vis-à-vis du sort réservé à Lorentxa. Comme dans le cas d’Ibon Fernandez Iradi, cette responsabilité n’est pas de l’ordre de la non assistance de personne en danger, mais d’une volonté délibérée de faire souffrir jusqu’au bout une militante engagée dans un combat pour la défense légitime des droits du peuple basque.
Le maintien en détention de Lorentxa pourrait avoir un effet dramatique et irréversible sur son état de santé. Mais disons-le très clairement : il aura aussi un impact extrêmement néfaste sur le processus de résolution en cours. Car le cas Lorentxa, de par sa trajectoire militante, mais aussi par le simple fait qu’elle soit une des trois porte-parole du collectif des prisonniers politiques basques (EPPK) revêt une portée humaine, mais aussi symbolique et politique très forte.
Il est ainsi impératif que nous répondions tous massivement présents aux mobilisations à venir pour sa libération. Si le 25 février, cette libération était à nouveau refusée, nous serions alors (compte tenu d’une analyse du contexte politique que j’ai exposée ici de la façon la plus objective possible) confrontés à une décision d’une injustice et d’une brutalité sans nom, qui ne manquera pas de susciter un sentiment d’indignation mais aussi de colère et de révolte plus que justifié.