Vous lirez ci-contre le premier texte qu’écrivit dans Enbata le jeune Ramuntxo Camblong à peine âgé de 21 ans. Il parut dans le n° 6 du journal, daté de septembre 1961. Il posait là comme la première pierre de son parcours de militant abertzale, en précisant deux axes majeurs : économie et culture basques.
Il serait trop long de faire ici le catalogue des engagements de Ramuntxo, il est impressionnant. Au contact d’Enbata et comme tout abertzale authentique, il a très vite changé de patrie. Avec une force tranquille et une détermination sans faille, il demeura fidèle aux idéaux de ses 20 ans. Homme de dialogue et de rassemblement, il fut avant la lettre un radical pragmatique. A chacune de ses étapes, il osa franchir le Rubicon, prit des risques, releva des défis. Laissant de côté une carrière enviable, avec une liberté d’esprit et malgré la chape de plomb idéologique, institutionnelle, linguistique qui étouffait alors le Pays Basque. Il fit partie de ces «intellectuels organiques», de ces clerc qui ont refusé de trahir, au sens où l’entendait Julien Benda en 1927. Homme d’entreprise, actif sur le terrain, mais aussi analyste, Ramuntxo Camblong écrivit de nombreux articles sur l’économie, parus dans Enbata, Herria (dont il fut longtemps le trésorier), Anaitasuna, Jakin, Egunkaria ; il est coauteur de plusieurs livres édités par Elkar, Ipar Euskal Herria (1969), Koperatibak (1973), Jardunaldiak (2001) Euskaltzaleen Biltzarraren mendeurrena (2003).
Quoi de plus invraisemblable en 1969 que de créer la première ikastola et d’y mettre ses enfants ? Quoi de plus étrange et risqué dans le monde capitaliste que de lancer une coopérative industrielle où les moyens de production appartiennent aux salariés ? Un type d’entreprise qui faisait florès à Arrasate-Mondragon,« en Espagne, pays arriéré », que Ramuntxo avait découvert grâce à un réfugié politique basque, Adur Arregi… tout cela sentait le soufre ! Pourquoi créer Pizkundea, la première fédération culturelle basque ? Parce que, comme le dit un proverbe wolof : «Bakarrik fiteago goaz, bainan elgarrekin urrunago». Quoi de plus aventureux que de présider le Centre culturel du Pays Basque, puis d’en claquer la porte, la place accordée à l’euskara y étant dérisoire ? Et faire quoi ensuite ? Pour mettre sur les rails l’Institut culturel basque (EKE) qui changea la donne. C’est là que Ramuntxo Camblong y subit un odieux chantage de la part de Michel Bonnet, le maire d’Anglet de l’époque : celui-ci menaça de « blacklister » de tous les marchés publics angloys, l’entreprise Copelec dirigée alors par Ramuntxo… si celui-ci, en tant que président d’EKE, ne condamnait pas publiquement un récent attentat d’IK. L’épisode en dit plus long qu’un long discours sur le climat d’alors.
Croc en jambe
C’est au pied du mur que l’on voit le maçon. A cette construction-là, Ramuntxo Camblong prit des coups. En 1997, il renouvelait son mandat de président du Conseil de développement. Modification des statuts, tour de passe-passe et croc en jambe, Ramuntxo Camblong sera évincé de la présidence et remplacé par Bernard Darretche, homme lige du président de la Chambre de commerce, Jean-Marie Berckmans. La défenestration fut ourdie par ces milieux économiques officiels qui ne supportaient pas de voir des trublions, animateurs de Herrikoa ou créateurs de coopératives, empiéter sur leur chasse gardée. « Conseil de développement, tout va bien, donc on épure », titrera Enbata n°1499, du 30 octobre 1997.
Les abertzale qui émergeaient à l’époque passaient soit pour des terroristes, soit pour de « doux rêveurs ». Ainsi le maire Henri Grenet qualifia-t-il publiquement Claude Harlouchet, premier élu abertzale bayonnais et ami de Ramuntxo. Les deux hommes, fils de paysans et scientifiques de formation, étaient férus d’économie. Avec sa force tranquille, R. Camblong n’élevait jamais la voix, entrepreneur dans l’âme et rassembleur, il avait du cran. Immense est notre dette à son égard.