L’Edito du Mensuel Enbata
Il y a cinquante ans, le premier mouvement abertzale d’Iparralde naissait à Itsasu dans l’affirmation fédéraliste européenne. Où en est-on de cette espérance ? Sur les décombres d’un continent en ruine sorti d’un conflit aux millions de morts, les anciens ennemis ont su dépasser leurs haines et leurs douleurs réciproques pour construire un avenir en commun. Cet acte fondateur, unique dans l’histoire de l’humanité, a préservé la paix entre nos nations belligérantes et amené la prospérité pour faire de l’Europe la première puissance économique du monde.
Nous devrions être fiers de ce bilan. Pourtant il ne répond en rien à l’aspiration des pionniers d’Itsasu qui plaçaient la souveraineté basque à recouvrer dans le dépassement des Etats-nations. L’Europe d’aujourd’hui en est la perversion. Sans nier les avancées supranationales (politique agricole, monnaie commune …), l’Union européenne est d’abord l’addition des exécutifs des Etats. Avec, pour accentuer les égoïsmes nationaux, la règle de l’unanimité.
Or, parallèlement à cette architecture communautaire articulée sur les gouvernements nationaux, les pères de l’Europe ont mis en place les outils d’une fédération, hélas jusqu’ici fort peu opérants. La Cour européenne de Strasbourg est pour les cinq cents millions de citoyens européens le dernier recours suprême y compris pour faire condamner leur propre Etat.
Depuis trente ans, le Parlement européen est élu au suffrage universel, faisant de lui un objet unique au monde puisque seule assemblée démocratique légiférant à la majorité simple sur 27 Etats souverains. Son rôle politique est jusqu’ici fort limité. Cependant, le 13 mars dernier, en rejetant le budget européen adopté le 8 février par les 27 chefs d’Etat et de gouvernement, il a heureusement renversé la nature de la construction européenne. Le Parlement a, pour la première fois, utilisé le droit de veto accordé par le Traité de Lisbonne de 2009. De plus il l’a exprimé d’une manière massive par 506 voix contre 161, malgré les fortes pressions exercées par chaque pays sur ses eurodéputés.
Même si le budget européen reste encore modestement fixé à 1% du PIB, il n’en demeure pas moins une masse financière de 960 milliards d’euros. En le rejetant cela enclenche automatiquement la reconduction de celui du précédent exercice et évite ainsi la diminution décrétée par le Conseil des gouvernements sous la double pression du britannique David Cameron et la Chancelière Merkel. Mais surtout, cela offre une nouvelle chance à une Europe plus équilibrée dont les élections européennes de mai 2014 seront l’échéance opportune. Car l’on sait que dorénavant, c’est le Parlement qui désignera le président de la Commission de Bruxelles de qui dépendent tous les autres commissaires et leurs puissantes administrations.
De plus, c’est une toute fraîche assemblée légitimée par le suffrage universel qui sera appelée à se positionner sur un autre budget pluriannuel jusqu’en 2020. Reste le plus important : dépasser l’Europe de l’empilement des Etats par celle du fédéralisme. Il faudra pour cela doter l’Union européenne d’une souveraineté budgétaire en sortant de l’addition des contributions des Etats par la création de ressources propres, soit une taxe carbone, soit une taxe sur les transactions financières comme, depuis peu, entrevue par l’Eurogoupe. C’est ce basculement-là qui changera en profondeur la nature de l’Union. L’enjeu réel du prochain scrutin européen devrait être celui d’une autre identité européenne.
Ce long cheminement, malgré ses errements, s’est cependant emparé de la totalité des gestions publiques de ce continent. Il n’y a pas d’avenir pour un pays hors de l’Europe. Les destins personnels y sont eux-mêmes immergés pour le meilleur et parfois le pire. L’aspiration fédéraliste des abertzale d’Itsasu y retrouvent difficilement ses repères. Cette Europe imparfaite a pourtant contribué à estomper la ligne frontière qui écartèle les deux morceaux d’Euskal Herria quant à la libre circulation, sans document, des personnes, des biens, de la monnaie et les dynamiques d’unité euskaldun si magistralement illustrées le week-end dernier par Korrika. Mais notre enfermement dans les Etats français et espagnol domine toujours l’essentiel de nos vies individuelles et collectives.
Une Europe laissée à la discrétion des Etats, comme aujourd’hui, ajoute à notre soumission. Donner plus de pouvoir au parlement de Strasbourg ne relève pas du sexe des anges. Faire avancer cette démocratie supranationale-là, c’est refonder l’Europe.