Au moment d’entreprendre la réforme de notre système de retraite, il est nécessaire de considérer, avant les logiques budgétaires ou les comptes de la dette, la capacité limitée de notre planète. Cette réforme structurelle n’en serait que plus équitable et permettrait d’enclencher une dynamique vertueuse pour la planète et la société.
Une des choses qui me surprend le plus dans le débat actuel sur la réforme de la retraite est la manière dont il est déconnecté des réalités physiques de notre monde. On dirait qu’il s’agit juste d’un exercice comptable à résoudre. Les décideurs que l’on dit responsables, les commentateurs que l’on pense sérieux l’abordent comme une question totalement indépendante de la géo-physique. Ils veulent résoudre une équation mathématique pure, avec tel nombre d’actifs diminuant, tel nombre de retraités augmentant et, selon leurs sensibilités politiques, un niveau de cotisations patronales restant stables ou non, un niveau de pension baissant ou non, se privatisant ou non etc.
Le hic dans tout ça est que nous ne vivons pas dans un univers de tableau noir et de craie blanche, mais bien sur une planète pouvant fournir telles quantités de ressources renouvelables ou non, telle quantités d’énergies renouvelables ou non, pouvant ou non absorber telles quantités de déchets et de gaz à effet de serre.
Nous sommes dépendants avant tout, avant tous les équilibres budgétaires ou comptes de la dette, de la capacité à retirer de notre planète de quoi boire, manger, se protéger du grand froid, ou des chaleurs extrêmes, ainsi que des grandes épidémies.
Rappel : nous n’avons qu’une planète !
Or, nous avons toutes et tous entendu un certain nombre de choses qui devraient nous faire réfléchir un minimum, notamment au moment d’entreprendre de grandes réformes structurelles, telle que celle de notre système de retraite.
Un Basque consomme en moyenne, tout comme un Français ou un Espagnol, l’équivalent de ce que pourraient fournir comme ressources et absorber comme déchets pas moins de trois planètes comme la Terre. Et problème, nous n’en disposons que d’une. Du coup, notre niveau de prélèvement de ressources et d’énergie a des conséquences lourdes et structurellement intenables sur les grands équilibres du monde dans lequel nous vivons.
Nous assistons en ce moment même à la sixième extinction de masse des espèces vivantes, à une perte dramatique de la biodiversité. L’inquiétant déclin des populations d’insectes ou de vers de terre pose déjà de graves problèmes de pollinisation des plantes, d’oxygénation et de fertilisation des sols. Le climat se dérègle de plus en plus vite et de plus en plus profondément. Et nous avançons de plus en plus vite vers des seuils synonymes de ruptures irréversibles. Ce sont nos conditions de vie même qui sont en jeu.
Préserver les conditions de nos vies
Dans une telle situation, comment comprendre que des gens qui à priori ne sont pas des criminels endurcis et ne souhaitent pas la mort de millions d’êtres humains, puissent appuyer des réformes visant à nous faire travailler plus ? Travailler plus veut tout simplement dire produire plus, donc extraire plus de matières premières et d’énergies, actuellement à 80% d’origine fossiles et donc fortement émettrices de gaz à effet de serre.
Comment peut-on décider de produire encore plus quand on est dans une situation générale telle que la nôtre ? Nous sommes déjà en train de scier la branche sur laquelle l’humanité est assise, nos gouvernants nous demandent de scier plus vite, de scier plus fort, et nous allons leur obéir ? Comment peut-on continuer à prendre des décisions économiques et politiques en faisant fi de la réalité géo-physique de notre monde ? Nous devons sortir des débats et réflexions purement économiques et mathématiques.
Nous devons réfléchir aux conséquences concrètes de nos grands choix structurels sur les conditions concrètes, terrestres, de nos vies. Ce qui est important, vital, c’est de préserver la capacité de la terre à nous fournir de la nourriture, de l’eau potable, un air respirable et des températures supportables, c’est de limiter et de freiner le changement climatique en cours pour qu’on puisse s’y adapter au mieux, en limitant la casse humaine pour notre génération et nos enfants, et ceux qui les suivront. Pour cela, il n’y a qu’une manière, il faut diminuer la taille du gâteau, mieux la répartir et changer sa recette pour que l’on vive mieux avec.
Quelle réforme des retraites ?
Quelle réforme structurelle des retraites serait compatible avec une telle règle de base ? Pour commencer, il faudrait maintenir au maximum le système de retraites par répartition. Il faudrait interdire les fonds de pensions, système d’assurance et de complémentaires privées, sauf à leur imposer d’investir les fonds qu’ils gèrent dans des activités liées à la transition et sobriété énergétique (isolation thermique des bâtiments, développement des transports collectifs, des aménagements permettant des modes doux de déplacement, reconvertir l’agriculture industrielle en agriculture paysanne et durable, réaménager les territoires pour limiter les besoins de déplacement et les consommations d’énergie etc.).
Il faudrait donner une retraite égale à toutes et tous, permettant à chacun.e de vivre dignement et contribuer à diminuer radicalement les inégalités sociales.
Cette retraite ne doit dépendre ni du nombre d’années travaillées, ni des salaires touchés. La vie de travail aura déjà favorisé les uns par rapport aux autres, une retraite égale pour toutes et tous permettra de corriger un minimum cette situation.
Il faut surtout réduire fortement le niveau de retraite des 20% les plus riches qui ont un niveau de vie écologiquement très destructeur et qui alimentent les dynamiques de consommation ostentatoire : multiplication des voyages en avion, ou en bateaux de croisière, achats de véhicules puissants, des derniers modèles d’électro-ménager etc.
Enfin, il faut impulser dans la société des dynamiques permettant aux retraités de trouver un sens à leur existence qu’on leur souhaite la plus longue possible sans nécessiter pour cela de surconsommer ou de voyager en avions ou en paquebots à travers le monde.
En plus des pratiques que beaucoup d’entre eux ont déjà (engagement associatif, accès à la culture ou reprise d’études…), il faut imaginer et impulser des modes d’entraides et de coopération entre personnes retraitées et population active ou jeunes et enfants, d’habitats partagés, des types de loisirs et de tourisme les plus décarbonés possible.