“La France est un pays centralisé, on ne réforme pas un pays centralisé, il fait la révolution”. C’est la conviction du président sortant de la région Aquitaine, Alain Rousset. Parfait connaisseur, par ses multiples partenariats avec l’autonomie d’Euskadi ou avec des lander allemands, sa réflexion touche au coeur même du mal-être de l’Etat jacobin qui croit s’en être sorti par une réforme territoriale en trompe l’oeil.
Après avoir récemment voté pour des assemblées départementales dont on annonçait la disparition quelques mois auparavant, nous voilà à nouveau sollicités par les urnes les 6 et 13 décembre pour une super région de 5,8 millions d’habitants. Malgré les apparences, rien n’a changé. Ou si peu. La taille n’est plus la même mais les compétences sont quasi identiques. De même, ses moyens fiscaux. La dotation de l’Etat reste toujours déterminante dans son budget.
Nous sommes loin de la volonté décentralisatrice, pourtant fortement affichée au tournant du quinquennat en 2012. Loin de l’esprit qui présida la première décentralisation Deferre de 1982 érigeant les régions au rang de collectivités territoriales élues au suffrage universel et où l’autorité de tutelle des préfets était supprimée.
On a souvent évoqué pour ce prétendu troisième acte de la décentralisation vouloir répondre au modèle européen. Les fameuses grandes régions européennes ne l’étaient pas par la taille ou le poids démographique mais par la nature de leurs institutions. Des lander allemands sont parfois de simples villes ou certaines régions autonomes espagnoles atteignent à peine l’équivalent d’un département français.
Le mal français, son strabisme régional européen découlent de son centralisme fondé sur l’idolâtrie de l’Etat qui veille, avec l’ENA, à former son propre clergé ayant vocation non seulement à quadriller tous les grands corps publics mais aussi d’irriguer les grandes entreprises économiques publiques ou privées. Ce système est unique en Europe et personne ne tente de le copier. Cette verticalité est antinomique à la gestion décentralisée du territoire. Ce pays est, de fait, difficilement réformable. L’actualité l’illustre en permanence.
Dans quel autre pays européen voit-on l’enseignement confié à une armée compacte de plus d’un million de fonctionnaires? Où voit-on ses policiers, ses gardiens de prison de l’ensemble des territoires revendiquer en bloc sous les fenêtres de la Garde des sceaux?
Confusément les Français sentent bien où se situe leur mal-être? En permanence le débat public s’écarte des choix de gestion du quotidien pour en revenir inlassablement à l’architecture institutionnelle. Cette dérive traverse toutes les familles de pensée, de l’extrême gauche au Front national.Chacun a sa propre version d’une sixième république, du rôle et de la durée du mandat du chef de l’Etat, du format du parlement et du statut des élus. Ce débat institutionnel est le miel des Français mais n’existe dans quasiment aucun autre pays européen, à l’exception de l’Italie qui semble enfin sur la voie d’un consensus.
La réalité européenne, que la France ne veut pas voir et que ses partenaires pratiquent à des degrés divers, c’est le fédéralisme. La réalité du pouvoir est dans l’élaboration de la loi. Dans l’Hexagone, Paris seul assure cette fonction démocratique. Partout en Europe, chaque échelon territorial est doté du pouvoir législatif dans les domaines dont il a la charge. Le parlement de Gasteiz légifère, par exemple, en totale souveraineté pour tout ce qui touche à l’enseignement dont il a la compétence selon le statut d’autonomie. De là découlent les pouvoirs réglementaires et administratifs. Même schéma à Munich pour la Bavière, Edimbourg pour l’Ecosse…
Quelle qu’en soit la nature, l’échéance régionale des 6 et 13 décembre prochain offre naturellement un temps fort à la vie politique.
Les abertzale, contrairement à la consultation précédente où ils avaient présenté des listes de candidats dans les cinq départements d’Aquitaine avec des résultats insignifiants, ne participent pas à cette élection qui couvre cette fois-ci douze départements. Ils appellent au vote blanc.
En Corse, la région est à la taille de l’île et de ses trois cents mille habitants. La loi NOTRe a fondu les deux départements dans l’assemblée territoriale. Les abertzale présentent deux listes au premier tour et envisagent, pour la première fois, de fusionner au second tour. La gauche indépendantiste, qui a longtemps soutenu le FLNC, rejoindrait les nationalistes réformistes majoritaires déjà à la tête de nombreuses mairies, dont Bastia. Ils peuvent arriver en tête et rafler le bonus de 25% des élus pour emporter l’exécutif.