Depuis les évènements de décembre dernier à Luhuso et la journée du 8 avril, le désarmement d’ETA et le processus de paix se sont imposés au centre de l’agenda politique en Iparralde. Voici les enjeux du rassemblement du 9 décembre à Paris.
Il y a eu un avant et un après Louhossoa. La situation du processus de paix semblait désespérément bloquée depuis l’arrêt de la lutte armée d’ETA en 2011. Les 2 gouvernements français et espagnols n’avaient depuis pris aucune initiative pour aider à apaiser la situation. Pire, ils poussaient même l’absurde jusqu’à empêcher l’organisation clandestine de procéder à l’inventaire et la mise sous scellés de son arsenal dans la perspective de son démantèlement ordonné et sécurisé. C’est ce qui provoqua Louhossoa, et tout ce qui s’en suivit.
Autre situation absurde, la situation des militant- e-s d’ETA incarcérés s’est durcie en France (en lien avec le durcissement des politiques sécuritaires en général) : par exemple, les libérations conditionnelles pour les prisonniers politiques basques sont bien plus difficiles à obtenir aujourd’hui qu’avant l’arrêt de la lutte armée en 2011, cela paraît incroyable mais c’est pourtant le cas. Ce 27 octobre encore, un procureur vient de s’opposer à une liberté conditionnelle accordée par un juge, provoquant le maintien en prison du Bayonnais Ion Parot, âgé de 66 ans et ayant déjà effectué 28 ans de prison !
La vengeance ou la paix ?
En Espagne, la situation se tend également. Par exemple, en ce qui concerne les 21 prisonniers d’ETA gravement malades, une circulaire des institutions pénitentiaires, aux propos confirmés par l’actuel ministre de l’intérieur Juan Ignacio Zoido, stipule qu’on ne peut envisager de libération conditionnelle que pour les prisonniers d’ETA pour lesquels il existe une « certitude raisonnable » que leur décès se produira dans un délai inférieur à 2 mois ! En ce moment même, le prisonnier Ibon Iparragirre, malade du SIDA dont les défenses immunitaires se sont totalement effondrées, est maintenu incarcéré alors que n’importe quel virus peut le tuer à tout moment.
Après la mort fin juillet de Kepa del Hoyo, mort à 46 ans d’un infarctus dans une prison à 700 km de son domicile, on voit que c’est plus l’esprit de vengeance que l’intelligence qui guide la politique pénitentiaire espagnole actuelle.
Avec des peines incompressibles de 40 ans, sans règlement politique de leur sort, les derniers des prisonniers basques devraient être libérés en 2054 !
Rappelons que les responsables des GAL, groupe meurtrier para-policier mis en place par le gouvernement espagnol, ont été libérés au bout de 3 ou 4 ans après avoir été condamnés à des peines de 75 ans !
Comment imaginer construire une paix durable et un nouveau vivre ensemble dans ces conditions ?
Débloquer la situation
Les évènements de Louhossoa ont modifié la situation.
Le désarmement et le processus de paix se sont imposés au centre de l’agenda politique. Le gouvernement français de l’époque a décidé de jouer sa propre partition sur ce dossier, rompant avec son suivisme des lignes dictées par Madrid, et cela lui a réussi.
Cela a permis un résultat applaudi par toutes les sensibilités politiques du Pays Basque nord, en débouchant sur une journée du désarmement qui s’est déroulée sans incidents et qui a largement contribué à ouvrir une page d’espoir pour tout le monde.
Quelques jours plus tard, un juge français libérait Oier Gomez, prisonnier basque gravement malade d’un cancer, en argumentant sa décision sur l’état de santé d’Oier et sur le nouveau contexte politique créé par le désarmement d’ETA.
L’heure des choix
Le nouveau gouvernement, en place depuis le 21 juin, doit alimenter cette espérance nouvelle et aider à construire une paix durable au Pays Basque. L’ouverture d’un dialogue, dès le 10 juillet, avec le ministère de la justice est à ce titre encourageant.
Il ne faut pas laisser de nouveaux drames affectant les prisonniers basques ou leurs familles, et l’absence de tout perspective refermer cette page d’espoir.
C’est l’analyse que partagent massivement les élus -qu’ils soient de droite, du centre, de gauche, abertzale ou écologistes- du Pays Basque nord, dans une délibération adoptée à l’unanimité le 23 septembre 2017 à Bayonne : “Aujourd’hui, nous demandons au gouvernement le rapprochement des prisonniers, la libération de ceux qui sont malades ou en fin de peine. Nous en appelons, ni plus ni moins, à l’application du droit commun. Ces mesures urgentes s’inscrivent dans le règlement global et définitif du dossier des prisonniers.”
Un changement de politique pénitentiaire en France dans le dossier basque montrerait qu’un chemin s’ouvre et que l’espoir est possible.
Il aiderait côté espagnol les secteurs qui tentent de faire avancer les choses de manière intelligente à se sentir moins seuls, plus légitimes.
La France, son gouvernement et sa justice peuvent faire évoluer le dossier basque vers moins de crispations, de haines, de germes de revanches, ou d’initiatives guidées par le désespoir et l’absence de perspectives acceptables.
Le refus de tout compromis ou dialogue, opposé depuis 2011 par le gouvernement PP dans le dossier catalan vient de montrer ces dernières semaines à quoi il menait.
Le gouvernement français actuel suivra-t-il cette ligne-là, manifestement contre-productive pour ses propres intérêts, ou s’inspirera-t-il de l’intelligence pragmatique qui a guidé le gouvernement de Bernard Cazeneuve dans la gestion du 8 avril ?
L’ouverture d’un dialogue
avec le ministère de la justice
est encourageant.
Il ne faut pas laisser
de nouveaux drames
et l’absence de toute perspective
refermer cette page d’espoir.
Le Louhossoa des prisonniers basques
A nous de l’aider à s’inscrire dans des logiques porteuses de changement et donc d’espoir pour les prisonniers basques, leurs familles et la société en général. La manifestation du 9 décembre à Paris ne sera pas une mobilisation de plus, une manifestation symbolique. L’ampleur des changements que nous attendons sera à la mesure de la capacité de mobilisation et d’interpellation que nous pourrons démontrer, dans ce moment particulier où beaucoup de choses sont possibles. L’Histoire ne repasse que rarement les plats.
La présence de chacun-e d’entre nous dans les rues de Paris le 9 décembre pèsera réellement sur la situation. Faisons ensemble de cette mobilisation de Paris le Louhossoa des prisonniers basques, afin qu’il y ait un avant et un après le 9 décembre dans ce dossier, pour continuer à avancer sur le chemin de la paix.