La récente faillite de Fagor nous amène à réfléchir sur le modèle des SCOP et à nous demander si celui-ci est bien adapté au monde actuel. Juliette Bergouignan revient sur la philosophie des coopératives ouvrières et s’attarde sur les choix stratégiques de Fagor avant d’évoquer quelques axes permettant que coopérative ouvrière rime avec succès économique.
Avant toute chose, rappelons quelques grands principes des coopératives ouvrières anglaises du XIXe siècle dont s’est inspiré le père Arizmendiarreta en fondant ULGOR (devenu Fagor) à Mondragon:
- Le capital est constitué par les apports des seuls salariés coopérateurs
- L’échelle des salaires est volontairement limitée
- Le gérant est élu par les salariés coopérateurs
- Les grandes décisions se prennent en Assemblées Générales selon le principe « Un homme Une voix«
- Une grande partie des bénéfices reste en réserve pour permettre le financement des investissements
- L’affectation du reste des bénéfices est décidée collectivement (destination sociale, culturelle…).
- Dans le cas d’une liquidation des actifs, les éventuels surplus vont à une autre coopérative.
Ce fonctionnement permet une implication plus grande du personnel qui partage un projet collectif : engagés, informés, conscients des enjeux, les salariés coopérateurs sont, en principe, plus motivés et réactifs, sachant qu’ils ne travaillent pas pour satisfaire des actionnaires de fonds d’investissement avides de toujours plus de dividendes, mais pour leur outil de travail.
Absence de transparence
Pourtant, force est de constater que depuis quelques années, beaucoup de coopérateurs de Fagor se plaignaient (en petit comité) d’une absence de transparence dans l’information. Celle-ci est pourtant indispensable pour assurer une participation de qualité. Dès lors, on peut se demander si les coopérateurs détenaient suffisamment d’éléments au moment du vote des grandes décisions stratégiques, telles que les rachats de Wrozamet en Pologne, ou de Brandt en France.
Dès la fin des années 90, la course à la taille est devenue un facteur-clé de compétitivité sur le marché de l’électroménager permettant, selon Txema Gisaola, directeur de Fagor, de préserver l’emploi et d’asseoir de solides positions en Europe avant d’attaquer des marchés plus lointains.
La chute de la demande dès 2007 (le chiffre d’affaires est passé de 1,8 milliards à moins de 1 milliard cette année) et l’arrivée de fabricants asiatiques à bas coût de main-d’oeuvre ont eu raison de la coopérative Fagor, fleuron de l’industrie basque, référence absolue dans le monde coopératif.
Cette diminution de la demande n’est peut-être pas seulement la conséquence de l’éclatement de la bulle immobilière. Des changements de comportement plus profonds sont perceptibles dans nos sociétés : la remise en cause du tout jetable, de l’obsolescence programmée nous obligeant à changer, malgré nous, d’appareils électroménagers tous les cinq ou six ans. La volonté de donner une deuxième ou troisième vie aux produits devrait amener les dirigeants d’entreprises à orienter leur réflexion vers des produits faiblement consommateurs en énergie, durables, réparables, recyclables…
Ce nouveau modèle entraînerait une réorganisation complète des entreprises avec l’ouverture de magasins de produits d’occasion, garantis…, réparables et la mise en place d’organisations innovantes avec magasins de produits d’occasion, de réparation…
Image vraiment distinctive
Et si c’était le moment idéal pour que les coopératives mènent une réflexion de fond sur les stratégies les plus adaptées à leur philosophie et à leurs moyens ?
Pour qu’une entreprise se développe sur un marché, il est indispensable qu’elle apporte un avantage concurrentiel, un « plus » apprécié du public, une image vraiment distinctive . C’est cet aspect qu’il est important de travailler. Or, sur un marché de masse tel que celui de l’électroménager et qui plus est, marché de remplacement dans nos pays occidentaux, seule une innovation radicale aurait permis de se maintenir. Mais Fagor disposait-il des moyens financiers de ses concurrents côtés en bourse pour pouvoir rester dans la course ?
Les coopératives ouvrières sont-elles adaptées aux produits de masse et à leurs marchés mondiaux ? Ne doivent-elles pas se concentrer sur des niches, marchés étroits sur lesquels elles sont capables d’apporter une réelle plus-value? C’est le pari réussi de petites coopératives d’Iparralde, telles qu’Alki misant sur le design ou Loreki traitant déchets verts et pellets pour chaudières d’entreprises?
Ce n’est donc pas la coopération qui est en cause, mais au contraire, son dévoiement, la course à la taille mondiale, une gestion trop verticale et opaque.
En ces temps difficiles, la philosophie coopérative a plus que jamais sa place dans l’économie. Elle permet remise en cause et innovation assurant la pérennité des emplois.