L’Edito du mensuel Enbata
Comme dans beaucoup de domaines, la France a une conception du bicamérisme fort alambiquée. Le Sénat est une institution au fonctionnement démocratique anormal disait Lionel Jospin. Il est renouvelé par moitié tous les six ans –il y a peu tous les neuf ans- et les sénateurs y sont élus non au suffrage universel, mais par un collège restreint de “grands électeurs”, essentiellement issus des conseils municipaux. On voit donc sa quasi impossibilité à être porté par une vague populaire comme peut l’être l’Assemblée nationale. D’autant plus que l’agenda électoral des municipales étant décalé par rapport à celui du Sénat, les grands électeurs ne sont pas des champignons de la dernière pluie. Il n’y a donc pas de suspens aux résultats du renouvellement partiel de la haute assemblée.
C’est ainsi que le Sénat est passé, en 2011, d’une courte tête, à gauche, pour la seule fois sous la Ve république après des municipales gagnées par les socialistes. Le 24 septembre dernier on a vu la traduction mécanique de la victoire de la droite inscrite dans la vague des Républicains des municipales de 2014.
Heureusement que le Sénat, s’il peut amender la loi et contrôler l’exécutif, doit s’incliner en dernier ressort devant les décisions législatives de l’Assemblée nationale. Si on y ajoute qu’il lui est impossible de renverser le gouvernement, on mesure le rôle mineur de sa fonction dans les institutions.
Reste que la modification de la constitution par la voie parlementaire ne peut s’opérer qu’avec l’assentiment des 3/5ème des 925 parlementaires, soit 555 députés et sénateurs réunis en congrès à Versailles. Si le président de la République, Emmanuel Macron, a une très large majorité à l’Assemblée, il lui manque, après le renouvellement du 24 septembre, 160 sénateurs pour parvenir à ces 3/5éme. Or, l’une des grandes réformes prévues dans le programme Macron est constitutionnelle et de taille, qu’on en juge: suppression de la Cour de justice de la République, limitation du nombre de mandats dans le temps pour les parlementaires, transformation du Conseil supérieur de la magistrature, réforme du Conseil économique, social et environnemental, baisse d’un tiers du nombre de parlementaires et dose de proportionnelle à leur élection. Si, comme on le constate, il n’y a pas 3/5ème de parlementaires ouvertement encartés Macron, il faudra donc au président “débaucher” des parlementaires de type “constructifs” comme déjà à l’Assemblée. La révision constitutionnelle étant prévue courant 2018, les grandes manoeuvres sont ouvertes.
Que feront nos trois sénateurs élus le 24 septembre dans les Pyrénées-Atlantiques qui se revendiquent de trois familles politiques différentes? Si l’on doit légitimement connaître leur implication dans cette réforme constitutionnelle, il nous faut d’abord nous réjouir que deux des trois élus, Frédérique Espagnac et Max Brisson, soit clairement engagés, aux côtés des abertzale, dans le processus d’Aiete, la remise des armes d’ETA, le soutien aux preso, la création de l’agglomération Pays Basque, Laborantza Ganbara, l’office culturel de la langue basque et Seaska. Ce n’est pas rien, d’autant que bien d’autres élus, dans le même temps, se sont montrés indifférents, voire ouvertement hostiles.
Le résultat de ces sénatoriales dans les PA appelle quelques commentaires(1). Souligner d’abord le superbe score de Frédérique Espagnac, tête de liste socialiste, réunissant 34,04%, soit 609 des 1.789 exprimés et ce, malgré la vilaine manoeuvre de dissidence de Georges Labazée qui, malgré son notabilisme de président du Conseil général et de chef de file du PS, n’avait jamais avalé d’être largement devancé par la jeune Espagnac aux sénatoriales de 2011, 878 voix contre 714. Sa présence a d’ailleurs empêché, à 14 voix près, l’élection à la proportionnelle du second de la liste socialiste d’Espagnac, le maire d’Hendaye Kotte Ecenaro, si proche des abertzale. Ceci a fait le bonheur de Max Brisson avec 311 voix. Cela rappelle la manoeuvre de bas étage de la socialiste d’Anglet, Annie Jarraud-Vergnolle, qui par son maintien au second tour en 2011 avec 412 voix avait empêché Sauveur Bacho d’être élu sur une liste commune PS/Verts- Abertzale. Parmi les huit listes en présence, celle du PNV/Occitan a recueilli 59 voix, soit un score marginal comme en 2011 avec 50 voix.
Ceci nous ramène à la position intenable de la gauche abertzale, absente et sans consigne face à une élection où ses élus locaux, jamais aussi nombreux depuis les municipales de 2014, étaient pourtant électeurs. Rappelons que depuis 25 ans, la revendication d’un département Pays Basque et d’un statut de l’euskara y est présente avec des candidats soutenus par un parti abertzale de gauche. Avec un collège électoral identique, Pantxoa Dascon y a recueilli 127 voix en 1992, Andde Darraidou 190 voix en 2001 et en 2011 (élection à deux tours) Sauveur Bacho 150 voix au premier tour et 317 voix au second. Lorsque l’on sait que l’élection, en décembre prochain, à l’assemblée unique de Corse, les abertzale de droite et de gauche, autonomistes et indépendantistes, feront liste commune, allons-nous laisser au PNV, si peu représentatif en Iparralde, la seule offre abertzale à une élection ?
(1) Résulats des sénatoriales PA, 24 septembre 2017: 1.859 Votants, 1.785 exprimés. Liste Espagnac 609 voix, Saint-Pé 409, Brisson 311, Labazée 213, Mirande 119, PNV/Occitan 59, Larrouy 49, FN 20.