Maire de Grande-Synthe depuis 2001, Vice-président de la Communauté Urbaine de Dunkerque (en bordure de la mer du Nord) Damien Carême a également été élu régional de ce territoire subissant de plein fouet la désindustrialisation. Il interviendra le dimanche 7 octobre dans le cadre d’Alternatiba Bayonne, pour témoigner des réalisations aussi nombreuses qu’innovantes qu’il a impulsés à Grande-Synthe. Il répond aux questions d’Alda en évoquant dans ce numéro de juillet les politiques de “social-écologie” mises en œuvre dans sa commune et dans l’agglomération. En août, il reviendra sur la politique d’accueil de migrants particulière qui a fait parler de Grande-Synthe en France et en Europe.
Pouvez-vous nous présenter votre commune en quelques mots ?
Grande-Synthe est une commune de 24.000 habitants de la Communauté urbaine de Dunkerque. Elle est née au début des années 60 des besoins de l’industrie française. C’était un petit village de maraîchers jusqu’à la fin des années 50, et une décision de l’Etat a abouti à l’implantation du site sidérurgique Usinor, devenu depuis Arcelor-Mittal. Pour construire et faire fonctionner l’usine, un appel à la main d’oeuvre (française et étrangère) a été effectué. Moi je suis arrivé dans les valises de mes parents, à cette époque-là, car mon père est venu travailler à l’usine. Arcelor est parti chercher des ouvriers espagnols, portugais, italiens, marocains, algériens, etc. tant pour construire l’usine que pour y travailler. La ville est passée de 1.600 habitants à la fin des années 50 à 25.000, 20 ans plus tard. Grande-Synthe est une ville ouvrière qui s’est construite très rapidement. Elle a un urbanisme “en chemin de grue” : on mettait une grue sur les rails, et on construisait de grandes barres d’HLM de façon perpendiculaire et parallèlement aux rails des grues. Actuellement on a un habitat qui a mal vieilli et une population qui subit la désindustrialisation du territoire qui, depuis les années 60 s’était fortement industrialisé (raffinerie Total et BP à l’époque, la plus grande centrale nucléaire d’Europe à Gravelines, Rio Tinto Alcan —une usine d’aluminium, etc. avec leur réseau de sous-traitants). Parmi les industries on a 15 sites qui sont classés Seveso, donc potentiellement dangereux. Enfin, cet environnement particulier subit aussi la crise de la désindustrialisation : tous les ans une entreprise annonce sa fermeture. Certes, les grandes résistent encore, mais jusqu’à quand ? On arrive actuellement à un taux de chômage dans la communauté urbaine de 25% et chez les jeunes il est de 45%. D’autre part, 33% des foyers vivent sous le seuil de pauvreté et le revenu annuel médian est de 10.000€. Bref, l’agglomération et particulièrement la ville de Grande-Synthe, connaissent une situation sociale particulièrement difficile.
Grande-Synthe, marquée par son côté ville industrielle, où la pétrochimie et la métallurgie sont fortes, est quand même montrée en exemple pour ses initiatives concrètes en matière de transition écologique : cantine bio, expérimentation des transports en commun gratuit, etc. Comment y êtes-vous arrivé ?
Et quelle a été la réaction de la population ? En tant qu’élu, on essaie de trouver des solutions pour toutes ces personnes en difficulté. Je ne pourrais pas dire aux citoyens “moi je vous trouverai de l’emploi”. Sur l’agglomération Dunkerquoise, 87% des entreprises présentes ont leur siège ou lieu de décision au mieux à Paris sinon à l’international. On n’a pas de contact avec eux. C’est compliqué de dire “on va créer de l’emploi”, ça fait rêver les gens mais on n’y arrive pas, même si on essaie d’attirer des entreprises du secteur d’activité dans notre agglomération. Notre priorité c’est d’améliorer le quotidien des personnes en difficulté sociale. Comme il faut préserver leur santé pour qu’ils ne soient pas malades, car ils n’ont pas beaucoup de revenus pour se soigner, j’ai décidé de passer au 100% bio dans les cantines il y a 6 ans. La commune rachète des fermes où on compte implanter de jeunes maraîchers en agro-écologie (3 sur 10ha.) afin d’assurer une agriculture de qualité. Les transports collectifs gratuits concernent la Communauté Urbaine. Pour des raisons sociales, 25% des habitants de Grande-Synthe n’ont pas de permis. Leur seul outil pour se déplacer (pour aller au travail ou visiter un proche malade à l’hôpital) est le bus. Pour nous le transport public est un bien public comme l’éducation. Il doit être gratuit. Cela permet aux gens de gagner du pouvoir d’achat. Dans ces deux domaines, il faut faire de la pédagogie : expliquer comment on préserve l’environnement et les effets collatéraux qu’on évite en n’utilisant plus les pesticides, etc. Dans tous les secteurs de la vie quotidienne on avance : le changement climatique on le prend en compte car l’agglomération est une zone de polder. Avec la hausse des océans… on disparaîtra. Il faut donc sortir du modèle ambiant, du modèle de développement dominant, il faut faire de l’éducation populaire, permettre à la population de s’émanciper pour les amener sur d’autres modèles. Malgré 25% de chômage, on s’oppose à l’implantation d’un terminal méthanier et au développement d’un projet portuaire basé sur du conteneur et le tout industriel entraînant la présence de plus de 1,3 millions de camions supplémentaires sur la route chaque année. En effet, les habitants de l’agglomération qui seront pénalisés par ses grands projets sont sans alternative. Nous, nous avons des contre-propositions, que la commune soutient, et qui viennent de l’agriculture, des énergies renouvelables, etc. A titre d’exemple, la commune apporte son soutient à une personne qui travaille sur un projet de recyclage de l’air (en utilisant la chaleur contenue dans l’air). C’est un projet qui entrevoit la création de 30 emplois.
Comment envisagez-vous la transition écologique, énergétique, etc. dans un territoire où la majorité des emplois existants dépend d’un modèle appelé à disparaître dans une vision de transition écologique ?
Il faut dire les choses sur l’histoire de notre région et sur ce qui se passe. Je dis toujours à la population que je n’ai pas envie qu’on devienne les Denain (qui a fermé sa sidérurgie au début des années 80 et vit une catastrophe sociale), ni Florange (qui malgré les luttes a vu sa sidérurgie fermer, ses ressources disparaître). La sidérurgie chez nous a 58 ans et ne sera pas centenaire. On a vu ce qui s’est passé avec Tata le sidérurgiste en Angleterre qui, du jour au lendemain, a décidé de fermer toutes ses usines sur place en faisant disparaître 15.000 emplois. Il faut se préparer à cette transition, développer un modèle économique indépendant du modèle industriel actuel. Il faut commencer à préparer les esprits sur la fermeture de la Centrale Nucléaire de Gravelines, une de plus vieilles de France. Ses premiers réacteurs datant des années 80, un nouveau carénage est fait. La centrale devrait en avoir pour encore 10 ans, mais on ne doit pas la prolonger plus que ça. Il faut donc voir comment on reconvertit cette population et main d’oeuvre qui a des savoir-faire.