Maire de Grande-Synthe depuis 2001, Vice-président de la Communauté Urbaine de Dunkerque (en bordure de la mer du Nord) Damien Carême a également été élu régional de ce territoire subissant de plein fouet la désindustrialisation. Il interviendra le dimanche 7 octobre dans le cadre d’Alternatiba Bayonne, pour témoigner des réalisations aussi nombreuses qu’innovantes qu’il a impulsés à Grande-Synthe. Dans cette deuxième partie de son interview, il précise à Alda! les clés d’une transition solidaire (l’anticipation et la reconversion) et présente la politique d’accueil de migrants de sa commune, assurant des conditions de vie dignes, dans une région qui depuis 2008 est un lieu de passage et où l’extrême droite est arrivée en tête au Premier Tour de l’élection présidentielle de 2017.
Comment envisagez-vous la transition écologique, énergétique, etc. dans un territoire où la majorité des emplois existants dépend d’un modèle appelé à disparaître dans une telle vision ?
On a mis en place un Forum de la Transition Ecologique, économique et sociale de l’Agglomération où on met tout le monde autour de la table pour un vrai dialogue social : les citoyens, les organisations syndicales, les patrons d’entreprise, les élus… Les questions qui se posent sont : “Qu’est-ce qu’on fait pour être résilient et préparer la disparition de ces entreprises ? Comment on oriente le modèle économique de notre agglomération ?”… Ce n’est pas facile.
Au niveau de la communauté urbaine, on doit prendre une délibération concernant la politique alimentaire et agricole de l’agglomération. Comme on est propriétaire de 245 ha, on a décidé de passer au bio sur toutes les cantines scolaires de l’agglomération dunkerquoise et de re-implanter des jeunes maraîchers… Avec le modèle agricole choisi, on pense créer une centaine d’emplois sur les 245 ha de notre agglomération.
Dans le domaine des énergies renouvelables on est candidat à un champ d’éolien off-shore car on a une bonne qualité de vent et une bonne régularité… On aurait l’énergie éolienne la moins chère d’Europe. On compte récupérer le savoir-faire des gens pour l’utiliser et l’orienter dans de nouveaux domaines. On coconstruit des solutions d’avenir et surtout on est vigilant sur tout ce qui peut nous aider à opérer la transition sur le territoire : aide au démarrage de projets d’entreprise pour les chercheurs venant sur notre territoire, priorité aux petites structures, car l’époque des mastodontes comme Usinor et ses 10.000 emplois… est révolue. On arrivera par des petites unités à faire cette conversion. Cela prendra du temps pour persuader les gens mais ça montre vers quoi on tend à l’avenir.
Vous dites que vous dialoguez autour de la table avec tout le monde. Comment réagissent les organisations syndicales dans ce domaine–là ?
Globalement très bien. Elles ont des réflexions et pratiques plus ou moins avancées dans ce domaine. Dans certaines confédérations syndicales avec la branche énergie qui est présente dans le domaine nucléaire… c’est un peu plus compliqué. Le syndicat majoritaire à la Centrale Nucléaire de Gravelines paye des pages dans la Voix du Nord pour défendre le nucléaire et demander même un EPR sur l’agglomération. Or, la confédération de cette branche est plus avancée et considère que le nucléaire est dépassé et qu’on doit passer à autre chose. Donc la mutation doit se faire à l’intérieur de ces organisations syndicales et de leur structure. Généralement elles le voient d’un bon oeil car les syndicats sont comme nous savent que la sidérurgie ne restera pas 50 ans de plus. Souvent, je dis aux élus et aux organisations syndicales qu’on a actuellement une manne financière (la taxe professionnelle des entreprises) et qu’on doit l’investir pour réussir la mutation. En effet, si on attend trop, la fermeture des industries du jour au lendemain risque de nous priver subitement de ressources et alors on ne pourra plus rien opérer ni espérer sur le territoire et il ne servira à rien de compter sur une aide de l’Etat qui se désengage de plus en plus au niveau local.
Grande-Synthe a eu une politique volontariste pour mettre en place dans sa commune un accueil, aux migrants souhaitant rejoindre l’Angleterre, assurant des conditions de vie dignes. Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette expérience pionnière en France et en Europe ?
Cette politique d’accueil est inscrite dans la droite ligne des autres politiques, cette expérience est en cohérence avec les autres décisions. Quand je parlais de changer les habitudes alimentaires, de déplacement, de consommation, d’isolation de logements, etc. c’était pour éviter le changement climatique… Ces réfugiés-là pourraient être des réfugiés climatiques. Les conflits dans le monde sont les conséquences de nos choix d’aller chercher du pétrole en jouant avec des dictatures (comme en Irak, Libye, etc.). Actuellement, on subit les conséquences de ces ingérences, et, on doit assumer ces responsabilités. De façon générale, les migrations existent depuis très longtemps… et vont être d’actualité encore longtemps. Face à cela, on a deux choix. Soit on refuse la présence des migrants et on appelle les forces de l’ordre, soit on se bat pour assurer un accueil en dignité. La population de la commune a adhéré à ce deuxième choix comme elle a adhéré aux autres politiques de la ville car il y a une cohérence. Il n’y a pas une politique prise par la commune qui ne soit en dissonance avec les autres.
Étonnamment le discours officiel des partis de droite et même de gauche, parfois, est de dire que toute politique humanitaire et généreuse crée un appel d’air et favorise l’augmentation du vote de l’extrême-droite. Est-ce que ça a été le cas ici ?
Absolument pas. On a mis à mal tous ces fantasmes. Moi j’ai une formule ou slogan politique qui est une formule de Gandhi : “montrer l’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre… C’est la seule”. J’ai mis en place ce que je pense être bon et j’ai montré que j’avais raison par la suite. Concernant l’extrême droite, au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 on est la seule commune à 80 km à la ronde ou la gauche était en tête… alors que toutes les autres communes qui elles ne veulent pas de politique d’accueil, c’est le FN qui était en tête. D’autre part, Grande-Synthe a accueilli 1 330 réfugiés à l’ouverture du camp. Au bout de 4 mois ils étaient 700. Pendant des années à Calais (qui est à moins de 40 km d’ici) rien n’a été organisé… et ils étaient 6 000 durant toute cette période. Ce n’est pas l’organisation de l’accu— eil qui fait appel d’air… L’appel d’air sur le littoral, c’est l’Angleterre. Ce n’est pas un lieu d’accueil avec un point d’eau des toilettes et une douche mis à disposition qui fait l’appel d’air. Ce n’est pas comme ça que cela fonctionne. A Grande-Synthe on a montré en actes que l’accueil n’est pas un appel d’air et ne fait pas monter l’extrême droite, au contraire. En effet, on ne se bat pas contre l’extrême droite avec les armes de l’extrême droite.
Enfin, il paraît que le Tour Alternatiba 2018 qui est parti de Paris le 9 juin et arrivera à Bayonne le 6 octobre passe par Grande-Synthe. Comment ça se prépare ?
Ce sont de jeunes militant·e·s et citoyen·ne·s qui s’en chargent. La commune a mis en place ses infrastructures pour héberger les cyclistes et d’organiser l’événement. Je suis très content que le Tour puisse faire escale à Grande- Synthe comme cela avait pu être le cas à Loos-en-Gohelle à l’édition précédente. Je serai moi-même présent à l’arrivée du Tour à Bayonne pour Alternatiba 2018 les 6 et 7 octobre pour apporter notre témoignage dans l’espace “Alternatives Territoriales”.