Se projeter dans le monde

Bixente Etcheçaharreta1
Bixente Etcheçaharreta

« Vivre, travailler et décider au pays » est le triptyque pour lequel ont milité nos parents. Véritable matrice de progrès dans les années 1980, portée par le mouvement coopératif et génératrice de nombreux emplois, cette doctrine atteint aujourd’hui ses limites : elle a contribué malgré-elle, à renfermer une partie du territoire et de sa jeunesse sur lui-même.

Elle doit être refondée à la lumière du nouveau monde dans lequel nous vivons. De ce triptyque, c’est certainement la notion de spatialité qui est la plus remise en cause par les évolutions politiques et surtout  technologiques récentes. L’ouverture des frontières et la révolution de l’internet engendrent un monde incomparablement plus ouvert et connecté que ne l’était celui de nos parents. Ces développements rendent  obsolète le logiciel intellectuel dans lequel a été pensé le militantisme des années 1980, et qui opère toujours au Pays Basque.

Dans ce nouveau monde, où la notion même de frontière est diluée, plus que la notion de spatialité, c’est la capacité à créer des connections par delà les frontières et à se projeter dans le monde qui devient primordiale.

Concrètement, cela signifie que la préservation de nos savoir-faire et emplois passe par une double exigence : une montée en gamme de nos productions et la capacité de toucher une clientèle mondiale. N’est-ce pas là d’ailleurs le principal enseignement des succès entrepreneuriaux récents ?

Ce nouveau paradigme souligne l’importance pour le territoire de pouvoir compter sur une jeunesse suffisamment formée pour réaliser ce saut qualitatif. La nécessité de devoir quitter le territoire pour étudier et  acquérir de l’expérience ailleurs ne doit plus être vu comme une fatalité, mais comme l’opportunité d’engranger des compétences et pouvoir en faire bénéficier le territoire.

Dans ce nouveau monde, où les décisions qui nous impactent sont prises dans un nombre toujours plus grand de mégalopoles, la capacité du territoire à activer sa diaspora prend également toute son importance. Le  territoire doit être en capacité de créer un réseau dense de relations entre le tissu économique local et les individus éclatés à travers le monde afin de leur donner l’opportunité de jouer un rôle de levier pour  l’écoulement de sa production, l’échange d’idées et l’arrivée de capitaux productifs.

Second point d’importance sur lequel nous devons faire évoluer notre logiciel : la place que nous accordons au politique. Tout est fait comme si nous considérions le pouvoir politique comme la matrice exclusive du changement. Les énergies se concentrent depuis longtemps sur notre organisation territoriale au risque de monopoliser le débat et de nous détourner de problématiques tout aussi cruciales : la formation et le  développement économique.

Le territoire est à un moment de bascule. Chacun peut constater avec quelle force la massification du tourisme bouleverse notre économie. Les créations d’emplois qu’elle engendre sont indéniables mais consistent bien souvent en des postes saisonniers et peu qualifiés. La manne financière qu’elle génère est concentrée dans les mains des professionnels du tourisme et irrigue insuffisamment les autres secteurs. En réalité, c’est tout le territoire qui s’enferme dans une trappe à précarité qui entretient la flambée immobilière. Au bout du compte, si elle n’est pas maîtrisée, cette vague finira par nous déposséder du territoire. Mais des contrefeux sont  possibles.

L’accès aux études supérieures est un des enjeux clef pour conserver la maitrise de notre développement. Le territoire connait en ce domaine un retard statistique de l’ordre de 15% et ce malgré d’excellents résultats au baccalauréat. Les raisons profondes de ce retard sont à chercher dans le peu d’attention que la société basque prête aux enjeux de la formation supérieure, mais aussi dans les effets pervers du « Travailler, vivre et  décider au pays » qui a conduit une partie de la jeunesse à privilégier sa présence sur le territoire plutôt que sa formation.

Agir pour une population mieux formée est un premier pas vers la reprise en main de notre économie. Ce rattrapage agira mécaniquement sur notre écosystème en renforçant nos capacités d’innovations, d’anticipation et de renouvellement. Il empêchera l’hypertrophie du secteur touristique au détriment de l’équilibre des secteurs d’activités qui fait notre force et notre identité. Il participera également à une société plus ouverte et méritocratique.

La rénovation nécessaire de notre logiciel intellectuel est plus que nécessaire si nous voulons pouvoir compter demain. Elle est nécessaire à notre avenir, mais nous fait également renouer avec notre longue histoire d’aventuriers, pêcheurs et corsaires, bergers, qui par delà les océans, ont fait du monde le terrain de leurs exploits.

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2 réflexions sur « Se projeter dans le monde »

  1. Agur. Récemment au cours d’une conférence, une personnalité imminente de notre société basque, plus portée sur la réflexion que sur l’action concrète, baptisait toutes les personnes qui avaient construit notre Iparralde (Batera, Herri Urrats, EHLG, Seaska,Herrikoa, Hemen, de nombreuses entreprises industrielles, agro alimentaire, etc…..) de « Possibilistes » et de « Beso Motz ». « Ces personnes nous ont maintenu dans l’étroite réalité de la vie, moi je crois au rêve et à l’impossible » ajoutait-il. La réflexion de l’auteur de l’article s’y accroche curieusement. « Vivre, travailler et décider au Pays » était l’expression de notre jeunesse qui à l’époque voulait avant tout « se prendre en main et prendre le Pays en main ».
    Parmi ces jeunes, beaucoup ont fait leurs études et se sont formés (durant leur activité professionnelle) en dehors du Pays Basque et sont revenus pour créer ou consolider leurs entreprises et trouver des solutions dans de nombreux domaines.
    La synthèse économique qu’il nous propose est connue de la plupart d’entre nous et n’apporte réellement rien au débat. En fait je crois que c’est l’aveu de la difficulté de passer de la réflexion à l’action. Le IAK FOKON et l’elbow du trépignement ont tendance à se développer fortement.
    J’invite l’auteur de l’article à se retrousser les manches, à trouver des solutions concrètes, en terme de création d’entreprises, d’emplois et autres services, pour corriger « les effets pervers du « Travailler, vivre et décider au pays » et à nous proposer une nouvelle formule qui oriente les actions de sa génération au service de notre pays. Nous attendons impatiemment la nouvelle formule.
    Un petit voyage au Sud de notre Pays, démontrera que toutes « les préconisations » sont déjà en place. Peut-être qu le prochain article aura pour titre « ce que nous faisons au Sud, nous pourrions le faire au Nord ». Le modèle existe. Laster arte. Pierre.

  2. Quel bonheur de lire cette tribune !
    Je partage tout à fait cette analyse. Je l’élargis aussi au domaine culturel, l’une de nos vraies richesses que nous sommes incapables de porter à l’extérieur de nos frontières à la hauteur de son intérêt. Je me désole notamment quand je consulte l’agenda de l’Institut Culturel Basque et que je constate que l’immense majorité de ces actions se concentrent sur Iparralde. Je pleure quand je vois ce que Elkar ou Agorila déposent dans les bacs des libraires/disquaires hors Euskal Herri.
    J’ai aussi peur que fier de ses réussites, mon pays oublie de regarder ce qui se passe à côté (et pas que en Hegoalde, de grâce !) et ne sache y trouver des éléments pour construire son avenir.
    Kuraia on deneri !

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