Çà y est ! Je l’ai enfin trouvé mon nègre ! Au forum sur l’immigration (sic!) qui s’est tenu cette fin avril à Bayonne et organisé par Atherbea, Bizi!, Solidarité-Migrants et Etorkinekin. Parmi tous les témoignages de qualité, un, d’entrée de jeu, aura retenu l’attention. Celui d’Antton Curutcharry, professeur d’Histoire et maire adjoint à Baigorri. Il a gentiment accepté que j’en tire ces quelques extraits. Vous pouvez consulter l’ensemble de son intervention “Histoire locale des migrations” sur le site enbata.info.
L’enracinement des Basques dans cette partie de l’Europe est très ancien (…) Tout nous ramène à l’idée d’un peuple premier, un peuple “de souche”. (…) Il nous faut bien, à l’aune de l’ensemble du savoir scientifique actuel, relativiser le caractère immémorial du fait basque sur cette terre. L’espèce Homo Sapiens, (…) à laquelle appartiennent les Basques, n’est arrivée dans la région qu’il n’y a environ 40.000 ans. Autant dire, le temps d’une respiration, si l’on se replace à l’échelle de l’âge de la planète Terre. Homo Sapiens a même progressivement remplacé un autre homme, plus ancien, Néandertal. (…) Il venait du Proche-Orient, et migrait, tout comme l’avaient fait ses ancêtres sortis d’Afrique plusieurs dizaines de milliers d’années plus tôt. De quoi faire frémir dans les chaumières… Sauf que, ces descendants d’Africains colonisateurs, c’est nous tous ! (…) Et concernant les Basques, force est de constater qu’ils furent migrants. Qu’ils partirent de ce lieu où ils s’étaient fixés, qu’ils y revinrent. Mais aussi, que ce lieu fut une terre où arrivèrent d’autres populations. Certaines passèrent, d’autres se fixèrent.
Pour forcer le trait, on pourrait dire que les Basques sont un peuple migrateur et le Pays Basque est une terre où l’on immigre, quelle que soit la période. Les migrations celtiques, peuples originaires d’Europe centrale, touchent toute l’Europe de l’Ouest entre les VIe et les IIIe siècles avant notre ère. (…) Puis, autour de l’an I, c’est l’arrivée des Romains, la conquête et la romanisation. Le vocabulaire latin vient se mêler à l’euskara, la langue basque. (…) Les Vascons et les Aquitains, ancêtres de ceux que l’on appelle Basques, sont intégrés, participent ensuite à la conquête romaine. (…) La terre des Vascons devient une route de grand passage (…) Les Wisigoths qui resteront, pour partie dans la région, mais aussi les Suèves, les Vandales et les Alains, franchissent nos montagnes au Ve siècle. Puis ce sont les Berbères d’Afrique du Nord, à peine islamisés, qui conquièrent la Péninsule Ibérique au VIIIe siècle et entrent dans le territoire vascon. Ils passent la montagne, du Sud vers le Nord. (…) Le grand élan de la reconquête des terres ibériques par les chrétiens, entre le Xe et le XVe siècle, fait partir beaucoup d’hommes de chez eux.(…) Ils viennent des territoires occitans, du sud de la France : Béarnais, Toulousains, Gascons, … Ils colonisent les terres reprises aux musulmans (…) Tous ces immigrés, ces colons, s’ajoutent à des communautés juives et musulmanes, antérieurement installées, qui ont décidé de rester.
La fin du Moyen Âge est aussi le moment où entrent en Pays Basque, des groupes de populations dont nos sociétés perçoivent mal l’origine. On les dit “Bohémiens” ou « Egyptiens” (cela donne les mots gypsies, ijito, gitan). Partis du nord de l’Inde, quelques siècles plus tôt, ils s’installent ici, suscitant la méfiance ou le rejet. Ils ne se sédentarisent pas tous complètement, mais ils deviennent une partie de notre histoire. Ce sont les Roms.
Le XVIe siècle voit arriver sur notre territoire les juifs espagnols puis portugais chassés de leur royaume (…)
Les XVIIe et XVIIIe siècles voient beaucoup de Basques se muer en conquérants et colonisateurs. Les Amériques, promesse de terres et de richesses concernent alors surtout les hommes, soldats, administrateurs et religieux. Les Basques s’approprient des terres, combattent les peuples précolombiens, fondent des villes, construisent des églises. Les Basques endossent ici un rôle dans lequel on n’a pas l’habitude de les voir… celui d’envahisseurs. Mais le siècle qui suit allait montrer une toute autre image des Basques dans le monde. Celle d’un peuple d’émigrants(…).
L’émigration des Basques pour l’Amérique devient massive à partir de 1830… Elle ne cessera vraiment qu’à la fin des “30 Glorieuses”, dans les années 1970. Pendant plus d’un siècle, des dizaines de milliers de Basques fuient la misère, le chômage ou les conflits nombreux (guerres napoléoniennes, guerres carlistes). Ils émigrent dans l’espoir de vivre mieux et qui sait, de faire fortune. (…) Certains parviennent à rentrer au pays avec de l’argent en poche, on perd la trace d’autres. Et puis, il y a ceux qui ont fait fortune, qui appartiennent aux oligarchies d’Amérique Latine, qui donnent des chefs d’Etat, des dictateurs à l’Argentine, l’Uruguay, le Mexique ou le Brésil (…) Les guerres mondiales, la guerre civile espagnole, la dictature franquiste sont encore sources de migrations pour les Basques. Des centaines d’insoumis du nord passent au sud des Pyrénées pour éviter l’appel sous les drapeaux. (…) Dans l’autre sens, à partir de 1927, des milliers de républicains et d’antifranquistes du sud passent au nord pour éviter la répression. (…)
Au début du XXIe siècle, sous l’effet progressif de la mondialisation, notre territoire, se littoralise. Il attire de nouvelles populations, certaines fortunées, d’autres moins… L’arrivée massive de populations non bascophones inquiète… Va-t-on perdre le trésor de notre histoire, celui qui, malgré tous les aléas, les va-et-vient, à travers les siècles, fut conservé précieusement par les Basques ?
L’euskara, au-delà de l’origine territoriale de celui qui le parle, est l’un des bijoux les plus précieux des Basques, que la mondialisation met en danger. C’est une question, locale, qu’il nous faut concilier avec des questions globales. (…)
Quelle attitude avoir devant l’étranger qui arrive ? Il nous semble important, (…) de penser aussi la migration comme un phénomène ancien et intrinsèquement lié à la condition humaine. Je migre, tu migres, elle migre. Ou alors, j’ai migré, tu as migré, il a migré. Ou bien je migrerai, tu migreras, il migrera… Le mouvement migratoire concerne l’ensemble des siècles, l’ensemble des peuples. Il nous faut, aujourd’hui, penser l’accueil du migrant (…)