Senpere, la spoliation des terres

26 juillet 1965. Suite à leur succès au « possessoire » les agriculteurs vont essayer de reprendre effectivement possession de leurs terrains mais ils devront rebrousser chemin sous la menace du bulldozer de l’entreprise DAVID. On est passé là tout près d’un incident grave. On aperçoit au fond les partisans du maire CAMI qui vont conspuer les agriculteurs dans les minutes qui suivront cet instantané. Photo ADPALAA.
26 juillet 1965. Suite à leur succès au « possessoire » les agriculteurs vont essayer de reprendre effectivement possession de leurs terrains mais ils devront rebrousser chemin sous la menace du bulldozer de l’entreprise DAVID. On est passé là tout près d’un incident grave. On aperçoit au fond les partisans du maire CAMI qui vont conspuer les agriculteurs dans les minutes qui suivront cet instantané. Photo ADPALAA.

Un livre numérique bilingue d’Henri Duhau présente l’affaire de St-Pée sur la spoliation des terres exploitées par les paysans. Elle a débuté dans les années 60. Aujourd’hui encore, les plaies sont à vif.

On se croirait en Amazonie. Mais non, nous sommes en Labourd, à Senpere. Les Indiens s’appellent Paul Jorajuria, Jeanine Bastid Yanci, Pierre Carricaburu, Erremundeguy. Les «Bolsonaro» prédateurs vont de Charles Cami à Christine Bessonart, en passant par Germain Esponda, maires de la cité. Dans un article précédent, Enbata et écologie politique, nous avons donné un bref aperçu de cette affaire. Le livre écrit par Henri Duhau et lisible via internet, synthétise tout le dossier qui s’égrène sur deux cents ans.

Le conflit porte sur l’usage et la propriété des terres communes d’un gros village qui depuis des temps immémoriaux détient 5000 hectares de forêts, un pactole sur lequel est bâti sa viabilité économique et écologique: «Senpere nausi oihanez» dit un vieux dicton de Senpere (1).

Tout commence à la Révolution française où les habitants se montrent largement favorables aux idées nouvelles, phénomène atypique dans le Pays Basque rural de l’époque. Le nouveau pouvoir permet aux etxeko jaun, aux maisons, d’acquérir des droits de propriété au sens moderne du terme, sur des terrains qui n’ont quasi aucune valeur marchande, mais qu’ils utilisent, essentiellement pour leurs activités d’élevage. En 1796, cent-vingt-six d’entre elles deviendront ainsi propriétaires de parcelles. Le cadastre de 1811 entérine la chose. Celui de 1914, fera de même, avec entre temps tout de même, quelques tentatives municipales pour évincer les propriétaires. Elles échoueront devant les tribunaux.

Le grain de sable des réfractaires

Tout se gâte au milieu des années 60, avec le maire Charles Cami, qui désire vendre une partie des biens de la commune et voit dans le tout-tourisme de masse, la panacée du développement économique du pays. Sans le dire, il veut vendre sa commune, comme les Rétais vendent leur île à la bourgeoisie parisienne. Les maisons propriétaires de parcelles enclavées dans les terres communes constituent un obstacle majeur. Qu’à cela ne tienne. Il prend les mesures juridiques nécessaires, quitte à s’exposer aux recours des propriétaires «réfractaires» qui réagissent. Les procès vont durer des années, jusqu’au début du XXIe siècle. Il va pourrir la vie à nombre de ses administrés. Même si souvent il perd les procédures, peu importe. Cela va calmer les velléités des autres ou leur faire courber l’échine et le temps fera son œuvre. Les décisions des juges ne seront pas appliquées. Quant au coût des recours engagées par les particuliers, il est bien plus élevé que la valeur des terres en jeu. De quoi décourager les plus téméraires.

Le maire bénéficie de la complicité d’un tribunal «sous influence», celui de Bayonne. Nous sommes à l’époque de «l’État RPR». Charles Cami est suppléant du député omnipotent Bernard Marie. Les services de l’Office national des forêts (ONF) manœuvrent également de concert avec la mairie qui dispose d’une autre arme lourde: le nouveau cadastre, sa «rénovation» entre 1969-1972. D’un trait de plume, la commune deviendra propriétaire de 1445 hectares.

La perle ou la poubelle

Les maisons spoliées vont s’organiser autour de l’association Senpereko lurrak et mener la bataille de façon concertée. Au final et dans les faits, elles ne pourront faire valoir leurs droits, mais Senpere demeurera profondément fracturé par ce conflit. Les conséquences seront considérables. La spéculation immobilière battra son plein, plus de 300 maisons individuelles sortiront de terre autour d’un lac artificiel, celui de Herri Urrats. La déforestation sera massive avec les ravages que l’on sait. La démographie va exploser, elle passera de 2500 habitants au début des années 60 à près de 7000 aujourd’hui, dont beaucoup ne sont pas bascophones, car venus de régions françaises. L’équilibre humain, culturel et linguistique s’en trouvera irrémédiablement bouleversé. L’équilibre écologique aussi: les inondations inouïes de 2007 sont le résultat d’une urbanisation galopante et de l’artificialisation des sols. La construction de barrages pour ralentir l’arrivée des eaux est toujours insuffisante, quand ils ne menacent pas de rompre, ils ne sont jamais assez hauts. Les discours officiels affirmaient qu’ils protégeraient les habitations pour les crues n’arrivant que tous les 10.000 ans. Mais les faits sont venus démentir l’assurance des «experts». «St-Pée, perle de la vallée de la Nivelle», affirmait une maire, un brin infatuée d’elle-même. La poubelle plutôt ! La forêt de Senpere accueille une énorme décharge publique, Zaluaga (2).

La spoliation des terres de St-Pée constitue bel et bien un épisode emblématique de la colonisation de notre pays, avec la complicité de «harkis», comme dans toute entreprise de ce genre.

C’est ce que démontre, documents à l’appui, Henri Duhau dans son livre. Il nous guide dans le labyrinthe d’un dossier juridique complexe où l’on se perd facilement. Son travail a l’immense mérite de conserver les traces, la mémoire de ce combat homérique qui prend tout son sens dans la lutte de libération nationale qui est la nôtre. Il s’inscrit dans l’histoire des paysages de ce pays qui reste à écrire.

Enfin, formulons un vœu: que ces pages inspirent d’autres auteurs, pour d’autres régions d’Euskal Herri, mais aussi des œuvres de fiction, dans le roman ou le théâtre. Tant ce thème est riche de violences subies par les habitants du Labourd, d’enjeux, d’histoire et de souffrances, de conflits politiques et de passions humaines.

(1) Comme ailleurs en Europe, il s’agit d’une forêt cultivée, objet d’entretien et source de revenus importants: bois mort, bois d’œuvre, site de pacage, récolte de glands, de châtaignes et de fougère, etc. L’importance des élevages de porcs depuis le Moyen Âge, l’affaire Matalaz, les rapports de Louis de Froidour pour le compte du roi au XVIIe siècle, témoignent de l’importance économique et politique des forêts et des terres communes ou «indivises».

(2) Malgré les efforts entrepris par Bil eta garbi, le CADE dénonçait la pollution du réseau hydrographique local en 2016.

Henri Duhau, Senpere Saint-Pée, Jabetasun auzi ahalkegarriak eta hirigintza bat eztabaigarria, un scandaleux litige foncier et une urbanisation discutable, 2013, 142 p. Pour lire cet ouvrage sur écran, veuillez cliquer sur l’image ci-dessous :

SenpereHenriDuhau

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Une réflexion sur « Senpere, la spoliation des terres »

  1. « Ibaietako uren maila 10 000 urte guziz gerta daitekeela » Zer gezur galanta!!! Ikerketa hidroliko askotan lan egin dut nire ofizioan eta zubi handi baten disenatzeko 100 urte guziz gerta daiteken uren igoera kontutan hartzen da; obra hidroliko txikiago baten kasuan aldiz, estolda baten kasuan, 20 urte guziz gerta daitekeena konsideratzen da. Garai hauetako notable, teknokrata eta politikariek larresugeak jendeek irents litzaten nahi zutela argi da!

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