L’Edito du mensuel Enbata
Six ans après l’arrêt définitif et irréversible de sa lutte armée, suite à la conférence internationale d’Aiete, un an après la remise de ses armes à l’initiative des artisans de la paix d’Iparralde, ETA, après soixante ans de violence “reconnaît”, le 8 avril 2018, “la responsabilité directe qu’elle a eue dans cette douleur”. “Aux personnes et à leurs familles, nous demandons pardon” conclue l’organisation clandestine. Cette sortie de l’innommable a belle allure, d’autant que “la réconciliation est une des tâches que nous devons mener en Pays Basque” invite ETA qui préconise “une solution démocratique au conflit… pour éteindre définitivement les braises de Gernika”. La guerre mémorielle a déjà commencé. L’on sait, hélas, que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Comment l’avenir présentera les décennies d’ETA?
Au-delà de la violence et de ses victimes, replacera-t-on ce temps de l’histoire basque au coeur du conflit politique qui oppose le Pays Basque à ses Etats tutélaires au même titre que le bombardement de Gernika et de l’armée des gudari de 1936, comme les guerres carlistes du siècle précédent? Tout comme l’engagement démocratique d’autres forces abertzale?
Le choix des modes de lutte pour atteindre le même objectif, s’il divise les familles abertzale, ne change rien à la volonté commune de quête de la liberté nationale basque. L’Espagne le sait fort bien qui, quel que soit l’interlocuteur basque, exige toujours plus d’alignement, plus de pardon, plus d’excuse, plus d’humiliation et, s’il le faut, exerce sa violence légaliste par le biais de sa justice politique. La Catalogne pacifique en connaît toutes les palinodies.
L’Espagne, pour le retour à la paix, refuse tout dialogue. Si ETA a sa part de responsabilité dans l’échec des trois ou quatre tentatives de négociation avec Madrid, c’est par un acte unilatéral que la partie basque parvient à l’issue, tant attendue, du conflit armé. Côté castillan, aucune contrepartie sur le sort des 243 preso détenus sur son sol, pas d’excuse sur les 4113 cas de torture recensés par l’institut basque de criminologie (Université du Pays Basque) rendus publics par le gouvernement autonome d’Euskadi, poursuite de l’exploitation judiciaire des tonnes d’archives policières récemment remises par la France portant sur des centaines d’attentats non élucidés, pouvant déboucher sur de nouvelles arrestations.
Au sein de cette Europe que nous construisons ensemble, quel contraste avec la résolution du conflit irlandais fondée sur une négociation, puis un accord avec l’IRA conclu au plus haut niveau britannique mettant un point final à la résistance armée irlandaise qui fit plus de 3.000 morts. Londres, à l’heure du Brexit, se sent toujours lié par la signature des accords du Vendredi Saint dans sa relation frontalière avec la République d’Irlande.
Dans quelques jours (édito écrit le 30 avril), ETA annoncera sa dissolution. Le chapitre historique qu’elle a ouvert sous le franquisme sera-t-il pour autant refermé? L’oeuvre de réconciliation, indispensable, ne pourra s’accomplir que si elle se nourrit de la volonté des deux parties. La France qui, avec constance, s’est toujours alignée sur la politique espagnole, a pour sa part ouvert la voie de l’apaisement en “couvrant” la remise des armes d’ETA sur son sol, le 8 avril 2017, et commence le rapprochement des preso. Hélas, outre-Bidassoa, la doctrine judiciaire initiée par Baltazar Garzon, “tout est ETA”, imprègne encore bien des mentalités. Les blessures de la guerre civile de 1936 sont toujours à vif et les charniers franquistes intouchables