Les premières élections du Parlement écossais depuis le référendum d’indépendance de 2014 ont eu lieu le 5 mai dernier. Dans son numéro précédent, Enbata avait posé le cadre institutionnel et politique dans lequel ce scrutin s’est tenu. Voici une analyse des résultats d’une élection qui s’est déroulée sous l’emprise du référendum sur l’indépendance.
En Ecosse, la population est pour une large majorité en faveur du maintien; si le Royaume-Uni décidait de quitter l’UE, cela fournirait un prétexte idéal pour la tenue d’un nouveau référendum d’indépendance.
Pour faire court, le SNP (Scottish National Party) a remporté une nette victoire, les travaillistes écossais se sont effondrés, et les conservateurs ont fait leur réapparition sur la scène politique écossaise. Mais l’enseignement principal de ces élections est que la société écossaise est profondément marquée par la campagne référendaire qui l’a divisée en 2014. La question constitutionnelle est désormais centrale en Ecosse, et c’est en grande partie pour l’avoir sous-estimée que le Labour a essuyé une aussi cuisante défaite. “Nous sommes rentrés dans l’Histoire” : Nicola Sturgeon, la dirigeante du SNP, pouvait féliciter ses troupes après la victoire de son parti pour la troisième fois d’affilée. Une victoire incontestée puisque les nationalistes raflent 63 sièges sur 129, mais pas une victoire totale. A deux sièges près, le SNP rate la majorité absolue dont il disposait (avec 69 sièges) lors de la dernière mandature ; Sturgeon se retrouve donc dans la même position que son prédécesseur Alex Salmond au lendemain de sa première victoire en 2007. Et tout comme lui, elle entend gouverner en minorité : “Avec un tel groupe parlementaire, je ne chercherai aucun arrangement formel avec un autre parti”.
Concilier les différentes sensibilités
Ce n’est pas une décision anodine. Le recul relatif du SNP s’explique en effet par une montée en puissance des Verts écossais, son allié lors de la campagne pour l’indépendance en 2014, et donc candidat naturel pour rejoindre un gouvernement de coalition. C’était d’ailleurs probablement l’objectif des électeurs nationalistes qui ont, cette fois-ci, accordé leur suffrage aux Verts afin d’infléchir la politique du gouvernement vers la gauche. Mais en termes de politique fiscale, Sturgeon se montre assez frileuse. De peur de s’aliéner le soutien de la partie centriste de son électorat, elle ne souhaite en particulier pas augmenter les impôts sur les hauts revenus comme le demandent les Verts.
Une des difficultés de son prochain mandat sera de concilier ces différentes sensibilités du vote nationaliste.
Le Scottish Labour a d’autres préoccupations. Il s’est effondré en passant de 37 à 22 sièges, mais surtout, il se retrouve pour la première fois depuis plus d’un siècle derrière les Tories. Une des explications apportées à cette déroute est que certains électeurs de droite, séduits par Tony Blair à la fin des années 90, sont retournés dans le giron conservateur. Mais les travaillistes paient surtout leur alliance avec les Tories pour le référendum de 2014. Malgré une campagne plutôt à gauche, le Labour n’a pas su convaincre les électeurs progressistes qu’il était une meilleure option que le SNP. Mais ce dont les travaillistes ont le plus souffert, c’est de leur absence de programme en matière constitutionnelle. Le SNP défend l’indépendance, les Tories portent l’Unionisme, mais le Labour est divisé ; on estime que 30% des électeurs travaillistes ont enfreint les consignes de leur parti en votant pour l’indépendance en 2014, faisant dire à un dirigeant du parti : “la réalité est que nous ne sommes pas à l’aise chez les nationalistes, et nous ne sommes pas à l’aise chez les unionistes”. Plusieurs voix s’élèvent déjà au sein du Labour pour que le parti défende une Home Rule écossaise offrant plus de pouvoir fiscaux au parlement autonome. Une chose est sûre : dans une société profondément
marquée par le référendum d’indépendance, le Labour devra trouver sa propre voie en matière constitutionnelle s’il veut se relever.
Reconfiguration du paysage politique
Et que l’on puisse se relever d’une déroute électorale, les Tories viennent de le prouver. La défaite des élections générales de 1997 où ils n’avaient pas remporté le moindre siège est en passe d’être oubliée. En remportant 31 sièges (contre 16 en 2011), le parti conservateur est désormais la principale force d’opposition au Parlement. Pour en arriver là, les Tories écossais se sont démarqués du modèle anglais sous l’impulsion de leur dirigeante Ruth Davidson. Lesbienne, adepte du kick boxing et fille d’ouvrier, elle sent moins le Bullingdon club que David Cameron ! En réclamant une baisse de la pression fiscale, elle a rencontré un certain écho auprès des classes moyennes, mais c’est surtout en se présentant comme fer de lance de l’Unionisme qu’elle a conquis de nombreuses voix. Exagérant la menace d’un second référendum (que Nicola Sturgeon ne souhaite pas voir se tenir dans l’immédiat), elle a su rallier le noyau dur unioniste qui s’était mobilisé pour le référendum de 2014. Cette reconfiguration du paysage politique selon une ligne de fracture constitutionnelle est-elle pérenne ? Cela dépendra en particulier de deux facteurs. Le premier est la manière dont le SNP saura utiliser les nouvelles compétences attribuées à l’Ecosse ; comme l’a rappelé la leader socialiste “Nicola Sturgeon est le premier ministre le plus puissant de l’histoire de l’Ecosse”. Elle sera attendue au tournant… Le deuxième facteur déterminant sera le référendum sur le Brexit qui se tiendra le 23 juin prochain. En Ecosse, la population est pour une large majorité en faveur du maintien ; si le Royaume-Uni décidait de quitter l’UE, cela fournirait un prétexte idéal pour la tenue d’un nouveau référendum d’indépendance. Mais ce n’est pas si simple : c’est chez les partisans du SNP que l’on trouve le plus gros bloc de sympathisants du “leave”. Le SNP se retrouve donc dans une situation assez délicate et assez semblable à celle des travaillistes lors du référendum d’indépendance. Je reviendrai dans une prochaine chronique sur ces deux problématiques qui seront un véritable défi à l’indéniable talent politique de Nicola Sturgeon.