“Vu ainsi, le concept de souveraineté cesse d’être un idéal suprême pratiquement inaccessible, et sa mise en pratique cesse d’être sous l’emprise de la volonté de l’ennemi… Il nous emmène de la logique de la protestation, de la dénonciation ou de la résistance à la logique de la construction.” Txetx nous livre ici une synthèse de l’analyse percutante du sociologue Joseba Azkarraga, parue en euskara dans l’Enbata du mois d’avril 2014.
Le mois dernier, Enbata nous offrait une analyse d’une grande valeur sur le sens que doit revêtir la lutte pour la souveraineté d’Euskal Herria si elle veut être en phase avec les défis que nous aurons à relever dans les années et décennies à venir. Il s’agissait de l’interview en euskara du sociologue et chercheur à l’Université du Pays Basque Joseba Azkarraga. Je me permets d’en proposer aujourd’hui un résumé en français pour mieux souligner en quoi elle représente une vraie base de débats et d’approfondissements possibles de la stratégie souverainiste basque, si l’on veut aller au delà de simples slogans.
Repenser et enrichir la notion de souveraineté
Pour Joseba Azkarraga, la notion de souveraineté en Pays Basque est envisagée de manière dominante, uniquement politico-juridique ou politico-administrative-territoriale, avec une conception centrée sur la notion d’Etat. Nous avons des difficultés pour repenser et enrichir la notion de souveraineté. Les bouleversements que nos sociétés commencent à connaître et qui vont aller s’amplifiant sont une invitation pressante à effectuer sans plus attendre ce travail théorico-pratique.
Le sociologue basque affirme que les ressources matérielles et énergétiques allant en s’amenuisant, et les déchets (dont les émissions de gaz à l’origine du dérèglement climatique en cours) en augmentant, des changements énormes nous attendent. Essentiellement du fait de la crise énergétique globale, il sera très difficile de maintenir le métabolisme social actuel, l’échelle qu’a l’économie actuelle, et la complexité de la société.
Ceci veut dire que la contraction sera le mouvement réellement important : dans l’utilisation de l’énergie, dans la production, dans la mobilité géographique, dans la consommation, dans la démographie, dans le narcissisme…
Nous avons des difficultés
pour repenser et enrichir
la notion de souveraineté…
Logique de construction
L’avenir sera donc principalement marqué par une phase de contraction. Pour y faire face, il sera essentiel de renforcer les communautés de petite et moyenne taille, d’effectuer un saut qualitatif et quantitatif dans l’organisation de la société, de créer des structures plus petites et auto-gérées, d’améliorer les taux d’auto-suffisance tant au niveau de l’énergie que de l’alimentation. En un mot, de faire progresser la souveraineté des territoires.
Vu ainsi, le concept de souveraineté cesse d’être un idéal suprême pratiquement inaccessible et sa mise en pratique cesse d’être sous l’emprise de la volonté de l’ennemi… Il se remplit de contenu en portant pour une fois la question du modèle de développement au coeur du débat politique. Et il nous emmène de la logique de la protestation, de la dénonciation ou de la résistance à la logique de la construction.
Il faut alors penser la souveraineté dans les différents domaines avec la même intensité, y compris pour l’alimentation et l’énergie par exemple. Et nous pouvons dès lors commencer à créer les structures et les stratégies pour cela. De fait, nous avons déjà commencé.
Vers la relocalisation
Aujourd’hui, les produits de consommation font en moyenne 1.600 kilomètres de l’endroit de production jusqu’au consommateur. C’est absurde et inefficient. Ce système n’est possible que parce qu’il n’inclut pas les coûts sociaux et écologiques.Le projet viable peut être la relocalisation, qui permet de prendre conscience de comment se font les choses.
D’aucuns pensent que cela sera difficile de résister pour des macro-structures économiques et politico-administratives (surtout celles qui ont une grande dépendance énergétique). Les territoires qui ont un projet stratégique et une activité endogène se comporteront beaucoup mieux. Pour surmonter la crise, les institutions en fonction aujourd’hui seront remplacées au fur et à mesure pour mettre à leur place celles créées par les citoyens.
Le processus de relocalisation est déjà en marche. Non seulement au Pays Basque mais aussi à travers le monde. En lieu et place des entreprises géantes ayant le monopole, des coopératives, des micro-entreprises ou des entreprises familiales naîtront. Plutôt que d’avoir des grandes banques, on aura des caisses d’épargne, des banques populaires ou du crédit coopératif. Pour remplacer des chaînes commerciales toujours plus grandes, le commerce équitable, l’agriculture locale et écologique et les échanges directs entre producteurs et consommateurs se renforceront. Au lieu d’une gestion privée des énergies fossiles, c’est l’énergie solaire et renouvelable qui va croître par une production communautaire décentralisée…
C’est le renforcement de ce monde qui est le grand défi, les autres options étant sans issue. L’avenir se construira en grande partie avec les ingrédients et solutions qui sont actuellement en marche.
Une stratégie d’avenir
Le projet de souveraineté a le potentiel d’attirer des personnes non abertzale. Le combat abertzale avait déjà -tout au long du dernier siècle- intégré les contradictions de classe et le concept de justice sociale dans son logiciel.
Il faut aujourd’hui une opération d’envergure sur les plans idéologique, politique et pratique qui intègre la question fondamentale de la nouvelle ère : la transition socio-écologique (qu’elle soit contrainte ou volontairement organisée) aura des conséquences extraordinaires sur la vie de tous les citoyens et dans tous les domaines de la société.
Le renouvellement peut être profitable puisque la gestion de la vie se fera à une échelle plus petite que celle des Etats. Il s’agit là de renforcer les muscles des régions ou des bio-régions, et de constituer des communautés plus souveraines. Le projet de construction d’un territoire comme Euskal Herria est bien évidemment complètement en phase avec cette perspective. La construction de la souveraineté d’Euskal Herria est une stratégie d’avenir.
L’interview de Joseba Azkarraga est disponible dans son intégralité sur Enbata.info, en euskara mais également en français (Rubrique « Comprendre »).