Dans la torpeur de l’été, François Hollande s’est multiplié pour accréditer le sentiment d’un non-assoupissement gouvernemental de la France. A cet instant, venue de l’île de beauté pourtant au pic du farniente touristique, est montée une parole politique iconoclaste prenant à contre-pied l’activisme présidentiel. Le 7 août, Paul Giacobbi, député radical de gauche et président de l’exécutif de Corse, provoquait un petit séisme en déclarant “limiter l’accès de la propriété foncière de Corse aux non-résidents”. Il entend ainsi réagir à la spéculation qui ronge l’économie de l’île, alimente la criminalité et rend impossible, par la flambée des prix, l’accession des insulaires à la propriété.
Bien que le revenu moyen des Corses soit inférieur de 20% à celui du continent, la population a augmenté sur cette terre de 45.000 habitants, quasiment tous venus de l’extérieur, ces dix dernières années, pour atteindre 300.000 résidents. Et c’est un miracle —celui de la peur des attentats?— si, malgré tout, l’essentiel du littoral est encore préservé.
Cette prise de position venant d’un cacique du clanisme traditionnel, mais président de l’exécutif du statut particulier Corse, fait d’autant plus scandale qu’elle rejoint la revendication des nationalistes fondée sur le triptyque “una terra, un populu, una lingua”. Simple conversion au réalisme politique, diront les fins analystes, lorsqu’on dépend d’une assemblée où les nationalistes recueillent, au second tour des dernières élections territoriales de 2010, 36% des voix.
Selon Gilles Simeoni, leader de Femu a Corsica, le plus important groupe nationaliste de l’hémicycle d’Ajaccio, “c’est enfin l’épreuve de vérité entre Corses et leur classe politique et entre la Corse et l’Etat. Ce dernier doit quitter les termes rebattus du débat insulaire pour ouvrir la porte à une politique novatrice”.
Il semblerait que la suggestion de Paul Giacobbi trouve un large écho positif au sein de la population Corse hantée par le spectre de la dépossession foncière et patrimoniale rampante. Il n’en va pas de même sur le continent où, d’après un sondage publié le 11 août par le Journal du Dimanche, 53% des Français sont hostiles à une telle éventualité. Des arguments d’inconstitutionnalité et de violation du droit européen sont avancés.
Nous n’en sommes pourtant qu’aux prémices d’une bataille politico-juridique, car le président Giacobbi entend soumettre ce nouveau droit de propriété insulaire au vote de l’Assemblée territoriale fin septembre. Il compte recueillir une majorité dans le droit fil du vote du 17 mai de cette année où, par 36 voix pour, 11 non-participation et 0 contre, la langue corse avait été déclarée co-officielle du Français.
Dès lors, on mesure déjà la portée, pour l’ensemble des minorités nationales prises au piège de l’Hexagone, de la venue en Corse de François Hollande, programmée début octobre prochain. D’une certaine manière, l’actuelle relation conflictuelle du Pays Basque avec Paris s’invitera à ce rendez-vous, car, au-delà de l’aspect identitaire, le cas basque ressemble à celui de la Corse. Ce sentiment de dépossession s’y affirme tout autant dans des statistiques également parlantes.
Notre population n’est-elle pas passée, en quarante ans, des recensements généraux de 1968 à 2007, de 218.000 à 282.000 habitants, soit une augmentation de 64.000 habitants (29,3%) venus essentiellement de l’extérieur? Nos logements (résidences principales) n’ont-ils pas plus que doublé durant la même période, passant de 77.963 à 167.883? Et que dire de l’explosion des résidences secondaires passant de 9.485 à 35.345? Le SCoT de l’agglomération Bayonne-Seignanx ne prévoit-il pas l’arrivée de 35.000 personnes d’ici à 2025 et la construction de 31.000 logements? Et que l’on ne vienne pas nous faire le procès du repliement identitaire alors que tout confirme un Pays Basque historiquement ouvert aux autres, voie de passage et de peuplement entre continent européen et péninsule ibérique.
La conjoncture corse ne fait que mettre au jour la réalité des chiffres et des mutations hors desquels tout débat ne peut être possible et serein. Cette réalité appelle, comme en Corse, une institution propre, en harmonie, en subsidiarité, avec les pouvoirs alentour. Notre situation spécifique doit relever d’une démocratie locale vivante et responsable. Le 29 juillet, à Nouméa, Jean-Marc Ayrault, en un geste de cohabitation vertueuse envers les peuples dominés, s’est engagé à restituer à sa terre natale la tête décapitée, il y a 135 ans, du chef Kanak Ataï, exhibée comme un trophée colonial à Paris. Il n’est pas nécessaire d’invoquer la tête de Matalas pour que Paris dote le Pays Basque d’une institution spécifique.