Militant climat à Bizi!, Alternatiba et Action Non-Violente COP21, Jon Palais a publié « La bataille du siècle. Stratégie d’action pour la génération climat » aux éditions Les Liens qui Libèrent. Il répond aux questions d’Enbata sur les enjeux liés à l’aggravation du changement climatique, les ressorts des mobilisations pour la cause climatique et la nécessité d’un changement de système devant concilier écologie radicale, démocratie et justice sociale.
Records de chaleur, sécheresses, incendies incontrôlables, inondations emportant tout sur leur passage… Quel est l’enjeu aujourd’hui au vu de cette aggravation du changement climatique ?
Une grande partie de la population reçoit maintenant l’évidence en plein visage : nous sommes entrés dans l’ère du dérèglement climatique. On a les pieds dedans et on le subit au quotidien. Mais ce qu’il faut souligner, c’est que tout le monde ne le subit pas de la même manière ! Les questions de justice sociale que cela pose sont beaucoup plus tangibles. C’est flagrant au sujet de l’eau : quand elle vient à manquer et que des restrictions doivent être prises, pourquoi doit-on l’utiliser ? Et pour qui ? Pour laver des voitures dans des stations de lavage, ou pour remplir des petites pis- cines pour rafraîchir les enfants pendant les fortes chaleurs ? Pour arroser les golfs et les complexes touristiques, ou bien les petits potagers ? Pour remplir des méga- bassines et arroser des monocultures de maïs, ou pour une agriculture paysanne et vivrière ? Ce sont des choix politiques qui posent les bases de deux types de société diamétralement opposées. Soit une société de partage et de solidarité où les usages essentiels seront garantis pour toutes et tous. Soit la poursuite du productivisme, du consumérisme et de la compétition, dans une société où les plus riches auront davantage de droits sur les ressources essentielles, y compris pour les gaspiller dans des activités superficielles au détriment des besoins de base du plus grand nombre. C’est en cela que la lutte pour le climat est une nouvelle lutte des classes.
Ces événements extrêmes aident-ils à mobiliser pour la cause climatique ?
En ce moment, je sens plutôt un défaitisme et un désespoir très forts vis-à-vis du changement climatique. La prise de conscience du phénomène suscite un effet de sidération, aggravé par l’inaction politique manifeste et par le greenwashing des grandes puissances économiques climaticides, qui n’invitent certes pas à l’espoir ! Beaucoup pensent donc, à juste titre, que le changement ne viendra pas « d’en haut »… mais doutent aussi qu’il puisse venir « d’en bas ». Or, c’est là, au niveau de l’action citoyenne collective, qu’il y a énormément de choses à faire. Il y a une forme de défaitisme qu’il faut combattre, car le défaitisme est la première condition de la défaite. En pensant que c’est impossible, on ne tente rien, et on crée une prophétie auto-réalisatrice négative. Je crois au contraire qu’il y a des raisons objectives de penser que cette bataille peut être gagnée. C’est ce que j’ai décrit comme « l’optimisme de la raison », en clin d’oeil à la célèbre phrase de Gramsci pour qui il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.
Il y a une forme de défaitisme qu’il faut combattre, car le défaitisme est la première condition de la défaite.
Il faut d’abord clarifier ce qu’on entend par « gagner la bataille climatique », car malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière : le phénomène est enclenché et il va falloir le gérer tout au long du siècle. Mais ce n’est pas parce que le changement climatique est enclenché que tout est perdu. Il ne faut pas être dans une vision binaire où l’issue serait soit une défaite totale, soit une victoire complète. Nous luttons face à un phénomène progressif où chaque dixième de degré compte. Nous sommes passés d’une situation où l’enjeu était la possibilité de la catastrophe à une situation où l’enjeu est l’ampleur de la catastrophe. Nous avons en quelque sorte, entre nos mains, le bouton qui contrôle l’intensité du phénomène. Loin d’être dans l’impuissance, nous avons ainsi un pouvoir – et une responsabilité – énorme qui demeure entre nos mains. Car une planète à 1,5°, 2° ou 3°, ce n’est pas du tout le même monde, et c’est ça qui se joue aujourd’hui !
D’autre part, ce que des mouvements comme Bizi! et Alternatiba ont mis en valeur, c’est que les alternatives existent dans tous les domaines, et qu’elles permettent de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre tout en construisant un monde meilleur. Nous ne sommes donc pas dans une impasse technique, mais face à un défi politique, au premier sens du terme : il s’agit de réorganiser la société autour de solutions qui existent déjà. Ça ne veut pas dire que c’est facile, mais c’est possible. C’est croire à la possibilité d’un changement spectaculaire, mais l’histoire n’est-elle pas remplie de changements qu’on pouvait penser impossibles, de révolutions culturelles et politiques, de ruptures, d’accélérations ? « Les grands changements semblent impossibles au début et inévitables à la fin », disait Bob Hunter, cofondateur de Greenpeace. Le monde actuel ne peut pas demeurer longtemps tel quel. Il changera forcément, car il est intrinsèquement insoutenable. À nous de rassembler les conditions et de créer les impulsions pour contribuer à ce qu’il change dans le bon sens, vers une société à la fois écologiquement soutenable mais aussi plus épanouissante et plus solidaire.
Ton livre est sous-titré « stratégie d’action pour la génération climat » : quelle est cette stratégie ?
L’objectif, c’est un changement radical de système, c’est-à-dire un changement à la racine du système, dans ses fondements mêmes : sortir du capitalisme, du productivisme, du consumérisme, etc. La manière dont ce changement s’opère est également de première importance : il faut concilier écologie radicale, démocratie et justice sociale. Et pour cela, c’est d’un mouvement citoyen de masse, radical et populaire, non-violent et déterminé dont nous avons besoin. Car si on ne change pas le système avec les gens, on risque fort de le changer contre les gens !
Cette théorie de changement via un mouvement de masse détermine beaucoup de choses sur les méthodes de militantisme : des techniques de mobilisation de masse auprès de publics non militants, des logiques d’alliances larges, une culture de l’efficacité, de la rigueur et de la discipline, ou encore l’approche radicalo-pragmatique. C’est ce que je décris dans le livre, où j’ai voulu synthétiser l’expérience de douze années de militantisme collectif à Bizi!, Alternatiba, ANVCOP21, les Faucheurs de chaises, les décrocheurs de portraits, et le mouvement climat en général. Cette stratégie a commencé à payer : la prise de conscience du changement climatique aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’il y a 10 ou 15 ans, quand Bizi! s’est créée, par exemple. C’est une très grande victoire dans la bataille culturelle. Elle ne suffit pas, et les actions en justice, les campagnes et les actions directes qui se multiplient, notamment contre les grands projets d’artificialisation (autoroutes, LGV, centres commerciaux, etc.), sont absolument nécessaires. Mais la bataille culturelle reste centrale dans la stratégie d’un changement de système, car il s’agit d’un changement des pratiques au niveau de la société toute entière, donc un changement de vision du monde, une révolution culturelle. Nous ne pouvons pas gagner cette lutte sans rendre cet « autre monde possible » à la fois lisible, crédible et désirable auprès d’une masse critique de la population. C’est un champ d’autant plus déterminant que l’écologie radicale et solidaire est en concurrence avec deux autres récits qui progressent eux aussi. Celui du capitalisme qui se repeint en vert autour du techno-solutionnisme sans remettre en question sa doctrine de libre échange et de croissance infinie qui détruit la planète et creuse les inégalités. Et celui de l’extrême droite qui exploite les peurs et les désillusions autour d’une vision de la société aux antipodes des valeurs de solidarité, d’accueil et de coopération qui seront parmi les valeurs les plus précieuses pour répondre aux grands bouleversements géopolitiques à venir. Dans cette bataille des récits, nous avons besoin d’une vision positive qui suscite l’espoir. On ne peut pas avoir comme seul moteur la lutte contre le monde actuel, il faut aussi se mobiliser pour.
Dans cette bataille des récits, nous avons besoin d’une vision positive qui suscite l’espoir. On ne peut pas avoir comme seul moteur la lutte contre le monde actuel, il faut aussi se mobiliser pour.
Nous pouvons construire un monde totalement différent et beaucoup plus porteur de sens que la société individualiste et matérialiste actuelle. Un monde plus beau et plus désirable, qu’il faut incarner jusque dans les formes de notre militantisme. La mobilisation populaire d’Euskal Herria Burujabe des 7 et 8 octobre derniers à Bayonne allait dans ce sens. Le prochain Tour Alternatiba qui commence à s’organiser pour 2024 apportera lui aussi sa pierre pour qu’une vision du monde écologique et solidaire s’impose dans l’imaginaire collectif et soit partagée par le plus grand nombre !!