Rencontre entre exilés républicains de la guerre d’Espagne et un alerte brigadiste international français qui prit les armes en 1936, à 19 ans. Anne-Marie Bordes conte une histoire qui prend une résonance particulière en ces temps de grandes migrations sur les routes de l’Europe moderne.
20 novembre 1975, mort du général Franco. 40 ans après, l’ombre du caudillo plane toujours sur le pays qu’il mit à feu et à sang en 1936. Parmi les survivants de l’époque, un homme de 99 ans, Henry Diaz, un Français d’origine espagnole, dont la vie se déroule paisiblement entre son département du Cher et Bidart où il s’est forgé de solides amitiés avec quelques compagnons de coeur, communistes dans l’âme. C’est à l’occasion de la récente réédition de son livre-mémoires consacré à sa vie de résistant paru en 1999, qu’Henry Diaz (alias “Commandant Bertrand”) a fait reparler de lui (1).
Voici les premières lignes de cet ouvrage intitulé Les sentiers de la liberté : “Je suis allé au Pays de Cervantes pour chasser le fascisme international en 1936. J’ai combattu sur le front
de Madrid avec le 5e régiment des Milices populaires, puis la 36ème brigade de la 4ème division commandée par le colonel Bueno. J’ai ensuite été versé au 1er bataillon motorisé et j’ai quitté Madrid pour le front d’Extremadura où j’ai participé à de grandes batailles. J’avais été versé à la 14ème brigade internationale mais je restais au 1er bataillon motorisé. Enfin, j’ai été envoyé sur le front de Grenade pour être ensuite rapatrié à la délégation des Brigades de Valence. Nous avons quitté l’Espagne sans pouvoir la libérer de ses chaînes. Nous nous sommes embarqués le 17 mars 1939 au port de Gandia, près de Valence, à bord du contre-torpilleur français Le Foudroyant”.
Arrêté, emprisonné
De retour sur le sol français (à Toulon) les 80 passagers français du Foudroyant crurent voir la foudre fondre sur eux. Henry Diaz poursuit: “Nous avons débarqué le 19 mars 1939. Tous les hommes aguerris par trois années de lutte, de combats, descendirent dignement. Là les brimades commencèrent. Nous pensions être reçus comme des soldats, comme l’avait fait le commandant du navire…”
Rien de tel : chacun fut interrogé par un commissaire de police n’éprouvant guère de sympathie pour ces combattants du fascisme allemand, Italien, espagnol. “Je vois votre couleur” dit le policier à Henry Diaz. Lequel répondit : “Il n’y a pas de couleur pour la défense des libertés !” Ce jour-là, Henry Diaz, arrêté, emprisonné pendant plusieurs semaines, sut que vaincu par le fascisme espagnol, il allait combattre le fascisme allemand chez lui.
Ce qu’il fit de 1939 à 1946 avec une incommensurable énergie. Des centaines de milliers d’Espagnols prirent le chemin de l’exil vers la France où ils n’étaient pas les bienvenus.
Images terribles que l’on a vu se reproduire ces dernières semaines sur les routes d’Europe empruntées par de nouveaux migrants.
Des idéaux intacts
Le 19 septembre 2015, Henry Diaz a rencontré l’association paloise Mémoire de l’Espagne Républicaine (M.E.R.). Emotion palpable sur le parvis de l’hôtel de ville de Billère aux couleurs de la République espagnole et dans la salle communale voisine. Six vétérans à l’honneur avec l’ancien brigadiste français : Vicenta Laberias, Dolores Gomez, Juliette Serrano, Antonio Rubio, Cristobal Andrades et le patriarche Virgilio Peña. 102 ans, de l’humour, une élégance rare. Rien de larmoyant dans les propos des uns et des autres mais des idéaux intacts affichés.
Tous imaginent (dans une “autre” Espagne qui aurait récupéré toute sa mémoire) l’avènement d’une troisième république moderne sur les cendres de la seconde république qu’Eibar fut la première à proclamer le 14 avril 1931.
Virgilio Peña revenons-y, l’Andalou devenu Français, était fils d’un ouvrier agricole qui, le soir, lisait Virgile et Hugo sur sa paillasse. Le moment venu, Virgilio emprunta le rouge des communistes, se battit farouchement, mais fut vaincu. Il prit la route de l’exil en France, fut interné dans les camps de Barcarès et Saint-Cyprien, travailla dans les vignes du Bordelais, s’engagea dans la Résistance pour être finalement livré aux nazis par la police française. En Allemagne, Buchenwald l’attendait. Il y créa un comité de “solidarités” et dans son bloc se lia d’amitié avec Georges Semprun, futur ministre de la culture de Felipe Gonzalez.
Le moment venu, Virgilio emprunta le rouge des communistes,
se battit farouchement, mais fut vaincu.
Il prit la route de l’exil en France, fut
interné dans les camps de Barcarès et Saint-Cyprien,
travailla dans les vignes du Bordelais,
s’engagea dans la Résistance
pour être finalement livré aux nazis
par la police française.
Mémoires éparses
Se battre toujours rappelle la devise figurant dans la préface des Sentiers de la Liberté d’Henry Diaz : “Ma jeunesse pour la liberté. Le fascisme, on le combat. Vaincre et vivre”. Jean Ortiz, universitaire palois, chroniqueur à l’Humanité, l’un des porte-drapeaux de M.E.R., se bat à sa façon. Il vient de présenter son documentaire Compañeras consacré aux républicaines, ces “pasionarias” de l’ombre (2). Il rappelle qu’un énorme travail mémorial est en cours en Espagne et souligne qu’il n’y a pas “une mémoire unique de la guerre d’Espagne mais des mémoires”. Elles sont diverses, éparses : communiste, nationaliste basque, socialiste, anarchiste… sans compter la mémoire écrasante du vainqueur. Henry Diaz quant à lui, s’est lancé dans le récit détaillé de “sa” guerre d’Espagne avec l’un de ses proches de Bidart. Le 16 octobre 2015 Manuel Valls Premier ministre français, fils de républicain espagnol, inaugurait le mémorial du camp de Rivesaltes(3) où exilés du franquisme, tziganes, juifs, harkis furent parqués.1936 toujours d’actualité.
(1) Ouvrage paru aux éditions Le temps des cerises, réédité chez Gascogne.
(2) Compañeras de Jean Ortiz et Dominique Gautier.
(3) Le département abrita deux camps, Gurs et le Polo Beyris à Bayonne.