Surfréquentation de sites, ici et ailleurs

Gaztelugatxe

L’affluence de publics urbains ou touristiques sur nombre de sites du Pays Basque pose question. En Europe et dans le monde, ces phénomènes conduisent à prendre des mesures radicales, entre démarketing, désaménagement et décroissance touristique. Des parcs nationaux français agissent pour freiner leur surfréquentation et les dégâts qu’elle engendre.

Début janvier, l’affluence excessive du public autour du massif de la Rhune déclenche une vague de conflits liés au nombre de voitures garées n’importe comment. Entre contraventions et pneus crevés, les réactions n’ont pas plu à tout le monde. Le maire d’Ascain Jean-Louis Fournier prépare un plan, via un arrêté, pour réglementer la circulation et surtout le stationnement. Les automobilistes devront désormais circuler et se garer à une plus grande distance des sites qu’ils souhaitent parcourir.

De Gastelugatxe (Bizkaia) à la forêt d’Iraty, de tels phénomènes se multiplient à travers tout le Pays Basque. De gros problèmes d’accès et de cohabitation au Mondarrain —entre troupeaux, voitures, randonneurs, chiens, etc.— font réagir les élus regroupés au sein du pôle territorial d’Errobi.

Un règlement d’estive dédié aux activités pastorales et de loisir est en cours d’élaboration. L’ONF (Office national des forêts) fait respecter en Iparralde l’interdiction de circuler pour les 4×4, les quads et les motos traversant hiver comme été des zones naturelles fragiles, en particulier les massifs classés Natura 2000. Les amendes infligées peuvent aller jusqu’à 1500 euros. Mais est-ce suffisant?

Les conflits d’usages sont légion, y compris avec les 60.000 pèlerins qui, jusqu’en 2019, marchaient à pied chaque année entre Donibane Garazi et Orreaga. En y laissant au passage leur lot de déchets, de dégradations et de nuisances diverses, malgré les conseils de bonne conduite largement diffusés. Ils se croient tout permis en ces “terra nullius” n’appartenant donc à personne et ignorent que ces paysages dont ils admirent la beauté, sont le fruit d’une histoire, de siècles d’entretien, souvent de “jardinage” et demeurent dans un état d’équilibre instable. En conflit avec les indigènes qui assurent le maintien de régions entières et tentent péniblement d’y subsister. C’est bien connu, en forêt d’Iraty ou à Urkulu comme sur les contreforts de l’Himalaya, les bergers autochtones s’ennuient ferme et n’ont rien d’autre à faire que de ramasser les ordures.

C’est bien connu,
en forêt d’Iraty ou à Urkulu
comme sur les contreforts de l’Himalaya,
les bergers autochtones s’ennuient ferme
et n’ont rien d’autre à faire
que de ramasser les ordures.

Ils nous adorent

En serons-nous réduits à créer des réserves d’Indiens pour le plus grand plaisir de nouveaux arrivants ou de visiteurs, comme le dénonçaient les abertzale dans les années 70-80?

Sommes-nous en capacité de maîtriser notre territoire et son avenir, contrairement aux paysans de Senpere qui s’épuisèrent dans un long combat dont malheureusement aujourd’hui, on constate de visu l’issue fatale. Tout cela est-il le propre de peuples dominés, de pays colonisés ? Cette interrogation revient opportunément sur le tapis à l’occasion d’un débat organisé à Ziburu… La question se complique du fait de graves conflits d’intérêts entre habitants de ce pays.

Poussés par l’appât du gain ou les nécessités, les difficultés de l’existence, des Basques vendent leurs maisons et leurs terres, d’autres spéculent ou simplement survivent, en rebondissant sur cet afflux ou ce passage de populations. Pour nombre de décideurs, cela devient une opportunité de développement. A courte vue. Les accusations de repliement identitaire ou de racisme guettent au coin du bois. Nouveaux venus et visiteurs disent “adorer” notre pays, beaucoup affirment apprécier l’identité basque ou ce qu’ils en perçoivent, mais risquent fort de la tuer dès qu’ils touchent cet exotisme. Nous avons ici un point commun avec les Nambikwaras d’Amazonie et les “primitifs, les sauvages” de Bornéo. Les poncifs dont on nous rebat les oreilles, du surf aux pintxo, en passant par le piment d’Espelette, les cidreries d’Astigarraga et le Guggenheim —ouverture sur le monde oblige—, sont hélas à l’honneur. “Ici au moins, ce pays a su préserver son identité, il est calme, ce n’est pas comme sur la Côte d’Azur!”, entend-on souvent. Nous connaissent-ils vraiment? Il est permis d’en douter.

Soyons méchants. Le regard vide des nouveaux venus ou de touristes que nous croisons est le cache-misère de leur ennui, de leur incapacité à s’intéresser aux autres. Ils ne s’intéressent qu’à eux-mêmes et nous assignent la mission de les valoriser en transformant paysages et habitants en décors de carton-pâte, en figurants muets pour distraire leur petite vie triste. Avec l’avènement des réseaux sociaux et la multiplication des selfies sur sites, leur visite égocentrée version Instagram, “c’est la consécration de l’égoïsme”, dixit J.-M. Peillex, maire de Saint-Gervais- les-Bains, un village de Haute-Savoie.

La caricature

Un film récent frise la caricature. Bernard Mariette est un financier et fut longtemps président de Quiksilver, il dirige aujourd’hui un grand groupe québecois. L’homme au mode de vie trépidant saute d’un avion à l’autre, mais rassurons-nous, “ce patron pressé s’accorde une pause sur ses terres”. Lorsqu’il dispose de quelques heures à Paris, il nous dit: “Je prends l’avion de 11 heures et reprends celui de 4 heures” pour venir en Pays Basque, “cela m’arrive souvent”. Il se rend dans la ferme du XVIIIe siècle qu’il a achetée en Labourd et va manger “dans une venta, à l’orée de l’Espagne”, en direction “de Sansé”. “Il est hors de question qu’on dénature ce qui nous fait rêver”, ajoute-t-il.

Restons calmes, nous voici devant un concentré du mode de vie qui nous fait froid dans le dos. Par dessus le marché, érigé en modèle enviable, à l’attention du bon peuple prié d’aplaudir. Plus un lieu échappe au tourisme, plus il devient attirant pour ceux qui sont en recherche de distinction. Mais le meurtre de la poule aux oeufs d’or n’est pas loin. Le paradoxe veut que cette présence endogène contribue sérieusement à susciter artificialisation des sites transformés en zones commerciales, uniformise et standardise des zones entières. A Ametzondo ou sur un BAB embouteillé, le Parisien n’est pas dépaysé, il est en terrain connu et s’adapte facilement. Les indigènes beaucoup moins. Des villes, une société sont en voie de dérèglement. L’affluence nécessite de disposer de ressources en eau potable, en infrastructures pour héberger, divertir, transporter les populations, pour traiter déchets et eaux usées. Bidart passe de 7.000 habitants à près de 60.000 âmes à la “belle saison”. Iparralde doit accueillir chaque année trois mille habitants permanents de plus, durant les décennies qui viennent. Ce type d’impact altère notre territoire, bouscule nos équilibres sociaux, environnementaux, culturels et linguistiques déjà bien mal en point.

Démarketing, quiétude altitude et utopie rurale

Alors que faire ? Comme nos pères, prendre cette évolution prédatrice comme une fatalité liée au progrès, à la modernité et la subir ? Le sociologue Rodolphe Christin dit non. Il parle de “désaménager” le monde, de mettre en place un moratoire sur toutes les créations d’infrastructures qui transforment durablement les territoires. Deux articles récents parus dans le quotidien Le Monde, éclairent le débat sur la surfréquentation de régions situées dans le sud-est de la France et dans ses 56 parcs naturels régionaux. Ils font état d’une “mosaïque de mesures” qui doivent permettre de maîtriser l’attrait de pays qui nous sont chers. Cela passe par des stratégies de démarketing(1), l’information dissuasive, la mise en oeuvre d’accès plus difficiles, l’instauration de zones à trafic limité pour faire reculer la voiture, un effort pour maîtriser les réseaux sociaux et les “influenceurs privés” qui y sévissent, la nécessité de ne pas géolocaliser leurs photos et de garder pour eux leurs expériences et leurs émois. Des parcs naturels définissent des zones dites “Quiétude Altitude” pour que le public, soit ne puisse y accéder, soit adopte des réflexes pour préserver le calme dont a besoin la faune pour survivre. Dans la vallée de l’Hérault, les bornes anti-stationnement sauvage se multiplient pour prévenir les embouteillages. Près de chez nous, le parc naturel des Landes de Gascogne refuse de subir le tourisme de masse. Il a décidé de cesser de communiquer au sujet de la Leyre, “site rivière sauvage” envahi durant l’été. La fédération des parcs naturels régionaux, développe le concept d’“Utopie rurale”, elle veut ainsi mettre en avant la dimension humaine de la rencontre d’une région. Avec l’organisme “Slow Tourism Lab” spécialisé dans le tourisme durable, elle désire développer des activités sans recours à la voiture personnelle. Le sénateur Jérôme Bignon a déposé une proposition de loi ayant pour objectif de réguler l’hyper-fréquentation dans les sites naturels, culturels, cultuels et patrimoniaux, soumis à des risques pour l’environnement ou le caractère même du site. Le texte consacre la notion “d’ordre public écologique”. Au chapitre des moyens, il étend le pouvoir de police général du maire qui existe déjà pour réglementer la circulation. Cette proposition de loi en fait tiquer certains, d’où un rabotage en perspective. Autant de pistes qui montrent que les préoccupations qui sont les nôtres en Pays Basque suscitent ailleurs débats, réflexions et début de solutions. A nous de nous en emparer, de les prolonger et d’avancer en ce sens.

(1) Kotler Philip, Welcome to the age of demarketing, The Marketing Journal, 25 août 2017.

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5 réflexions sur « Surfréquentation de sites, ici et ailleurs »

  1. Lehengo aldiz duela 45 urte joan nintzan Gaztelugatxera, Gipuzkoako kuadrilla batekin. Bertako jendea baizik ez zegoen « Txinako harresi txikia » deitzen dudan gurutze bidean. Hiru aldiz joan nintzen 2019 an Angeluko jende batzuekin; jende gehiago zegoen eta sarrerak ez ziren kontrolatuak; laugarren aldiz familiarekin joan naiz, baina sarrerak kontrolaturik zeuden. Garaia da bertakoek jende multzoek egin ditzaketen domaiez ohart daitezen. Nire ustez toki askotan halaxe egin behar da , bestela jai daukagu; pixkanaka Euskal Herriko leku ederrak itsusiak bihurtuko dira. Ikusi behar da nola bihurtu da Saboiako izotzezko itsasoa: zabortegia omen.beste adibide on bat badago Bardeetan: hara joateko 60 pertsonako bisita bat antolatu nuen, baina lehenago baimena eskatu behar nuen: data; orduak; gure ibilbidea eta autobusaren zenbakia. Haatik huts bat atzeman dut, Bardeetako bideetan motorrezko ibilgaliluak ibiltzen ziren; hori debekatu beharko da.

  2. Dans les années 80, sur les cantons de Baigorri et Garazi, je lançais un projet de développement des activités montagne, de loisir et d’éducation à l’environnement. Ce n’était pas la mode, alors, d’être écologiste bas navarrais; des amis abertzale comme des adversaires politiques me disaient, à l’époque, « ton projet ne marchera jamais ! » Je répondais « si nous nous n’organisons pas pour maîtriser son développement, cela deviendra un vrai bazar, ingérable ! » 40 ans après, nous y sommes en plein. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’autre alternative que de réglementer et ralentir la fréquentation pour protéger notre environnement naturel et humain. Maintenant, ayons le courage politique de le faire !

  3. Très juste Ellande! À force de tout miser sur le tourisme, notre pays ressemble de plus en plus à Disney land, et pourquoi pas la réserve naturelle avec des indigènes autochtones parqués dedans , cela préserverait la culture et la langue, entrée payante biensure

  4. Enbata ! En retard de deux guerres en Iparralde ? avec ce bel article d’EDP ! Mais il n’est jamais trop tard pour crier la vérité ! Votre journal, possède dans ses archives, une photo que je n’ai plus, où je remets à Didier Borotra, il y a plus de 30 ans, devant le Victoria surf, à Biarritz, le document « non à la touristification du Pays Basque » plaquette du mouvement EMA, que nous venions de créer ! Une époque où l’on se sentait très seul, pour plaider la cause des basques du nord et de la situation « d’étouffement » d’iparralde, dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui !

    1. Quel toupet de venir donner des leçons quand, comme Serge Istéque, on a été aux premières lignes de ceux qui ont défendu l’intérêt d’organiser le G7 à Biarritz, au nom du besoin de renforcer l’attractivité de cette ville et du Pays Basque nord à travers le monde, au nom de l’impératif d’y attirer d’avantage de ces publics au pouvoir d’achat élevé d’Amérique du Nord, qui ne viennent pas encore assez dans la région ! Ayez au moins la décence de vous taire.

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