On le sait, les cultures politiques du Pays Basque sont fort contrastées selon que l’on se situe au nord ou au sud de la frontière franco-espagnole. La faute à pas mal de facteurs différents survenus durant l’histoire, qu’il n’est pas dans mon objectif de développer ici. Il me paraît, par contre, assez intéressant de pointer une différence significative : celle de certaines attitudes électorales face à la crise économique.
Vote antisystème
Qu’elles sont loin, ces fameuses Trente glorieuses françaises durant lesquelles tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes… Un peu moins loin mais presque hors de mémoire également, la croissance espagnole de la charnière XXe- XXIe siècles, qui avait semblé enterrer l’image d’Epinal d’une péninsule ibérique quelque peu arriérée dans le concert européen.
Aujourd’hui, la crise est générale et multiforme : écologique, économique, sociale, et évidemment aussi politique. L’Espagne fait à nouveau partie de ce sud européen malade, désormais si charitablement baptisé d’un même acronyme : “PIGS”.
La situation est à peine moins mauvaise en France ; pas la peine que nos amis parisiens pavoisent en traversant les Pyrénées à destination de leur bronze-cul estival de la Costa blanca. Dans cette sinistrose ambiante, le désaveu vis-à-vis des partis politiques traditionnels est généralisé. On a pu le constater lors des élections de ces dernières années en France, on le constate aujourd’hui avec les élections de mai dernier en Espagne : presque partout, les suffrages se sont portés sur une proposition antisystème, dans une logique de protestation voire “d’indignation”.
Une différence néanmoins saute aux yeux, celle de l’outil électoral dont se sont servi les populations pour manifester leur mécontentement.
En France, le Front National en a massivement bénéficié, alors qu’en Espagne c’est Podemos qui est sorti grand vainqueur, de même que Syriza avait frappé un grand coup en Grèce, il y a quelques mois.
Observé d’un point de vue de gauche, il est évidemment rassurant de se dire qu’au moins dans cette Europe méridionale, la fièvre brune gagne moins les esprits et que le rejet du système se porte à gauche. Mais ce n’est pas non plus totalement rassurant, car la véritable signification de ce vote est à ce jour impossible à appréhender.
Pour tout dire, on a du mal à penser que les gens qui ont voté pour Podemos en Espagne ne l’ont pas fait en grande partie pour les mêmes raisons que ceux qui ont voté FN en France.
La société espagnole n’est pas à ce point d’une sociologie politique différente de celle de la France pour que la première soit devenue d’extrême-gauche en quelques années, tandis que l’autre pencherait de plus en plus vers l’extrême-droite. L’Espagne et la Grèce ne vivraient pas dans le sordide souvenir de dictatures fascistes, qui peut assurer qu’elles n’auraient pas l’une comme l’autre vu triompher un parti d’extrême-droite plutôt que d’extrême-gauche ?
La France, elle, n’a visiblement pas assez peur du fascisme pour renoncer au risque de faire accéder le FN au pouvoir.
Au Pays Basque, l’antisystème abertzale
Tout cela sera évidemment étudié avec le recul des ans et il est trop tôt pour en conclure quoi que ce soit de définitif à cette heure. Mais il paraît clair qu’à supposer que les programmes de ces extrêmes —de quelque bord qu’ils soient et quoi que l’on en pense au plan idéologique— tiennent la route en termes de programmes de gouvernement, ce n’est pas sur cette validité que se fonde leur succès mais bien sur leur potentiel cathartique.
Au Pays Basque, et même s’il n’est pas très plaisant de le reconnaître, le mouvement abertzale est probablement un frein à leur progression parce qu’une partie de l’électorat lui attribue cette fonction protestataire.
Là où l’abertzalisme est minoritaire et reste perçu comme un vote alternatif aux grands partis – ainsi EH Bai en Iparralde – la percée du FN a été moins profonde que dans la moyenne du reste de l’Etat français.
Par contre, là où ce même abertzalisme est parvenu à devenir majoritaire durant ces dernières années – ainsi EH Bildu au Gipuzkoa – il a perdu une partie de sa capacité subversive au profit de Podemos.
Il est évidemment rassurant de se dire
qu’au moins dans cette Europe méridionale,
la fièvre brune gagne moins les esprits
et que le rejet du système se porte à gauche.
Mais ce n’est pas non plus totalement rassurant,
car la véritable signification de ce vote
est à ce jour impossible à appréhender.
La roche tarpéienne est proche du Capitole
Evidemment, l’on est forcé de tirer de cette situation une équation compliquée en termes de bases idéologiques et de stratégie: comment fait-on pour être tout à la fois séduisant par son image “antisystème” et crédible par son programme, a fortiori une fois parvenu au pouvoir ? Voilà une quadrature du cercle dont EH Bildu a souffert, en tout cas assez pour lui faire perdre certains acquis majeurs de 2011.
Mais à mon avis, malgré de probables erreurs de parcours, ce résultat ne lui est pas totalement imputable. Je peux évidemment me tromper sur ce point, mais j’ai bien peur que toute crise économique profonde et durable draine avec elle une telle perte de repères et de confiance au plan politique que l’accès au pouvoir devient par lui-même promesse de désaveu plus ou moins rapide.
Et de cette fatalité, personne n’est à l’abri, pas même Podemos. Ne le mettant évidemment pas dans le même panier que le FN, je souhaite bon vent au premier dans des villes telles que Barcelone ou Madrid, et prie qu’on nous préserve du second. Mais sachant que le plus pur trouve toujours tôt ou tard un plus pur que lui qui l’épure, j’attends de voir le moment où l’épreuve du pouvoir et d’une quasi impossible gestion de crise mettra sur son chemin une nouvelle offre antisystème, populisme de gauche ou de droite qui le balaiera à son tour. Mais j’espère me tromper.