Face à l’humiliation subie par Syriza et son leader Alexis Tsipras des mains des autres pays de la zone euro pour que la Grèce continue à bénéficier de l’aide européenne, on peut ressentir de la gêne, de la colère ou de la compassion. Mais les bons sentiments ne mènent pas à grand chose. Si l’on doit continuer à batailler pour une Europe politique, fondée sur une fédération de peuples solidaires et unie par une constitution progressiste, à l’heure actuelle on est bien forcé de subir le diktat de cet écheveau instable, malade des égoïsmes politiques et économiques de ses principaux Etats membres.
Il y a deux mois, dans ces mêmes colonnes, j’émettais un gros doute sur la capacité des formations politiques de type Podemos ou Syriza à réussir leur ambitieux pari de renverser le système. Malheureusement, au moins dans le cas grec dont on constate avec douleur les développements actuels, et je crains de ne pas trop me tromper.
Du “radical” et du “possible”
Par flemme assumée de trop réfléchir en cette matinée ensoleillée, pour une fois je me cite: ‘Il paraît clair qu’à supposer que les programmes de ces extrêmes — de quelque bord qu’ils soient et quoi que l’on en pense au plan idéologique — tiennent la route en termes de programmes de gouvernement, ce n’est pas sur cette validité que se fonde leur succès mais bien sur leur potentiel cathartique. J’ai bien peur que toute crise économique profonde et durable draine avec elle une telle perte de repères et de confiance au plan politique que l’accès au pouvoir devient par lui-même promesse de désaveu plus ou moins rapide. Et de cette fatalité, personne n’est à l’abri, pas même Podemos. (…) j’attends de voir le moment où l’épreuve du pouvoir et d’une quasi impossible gestion de crise mettra sur son chemin une nouvelle offre anti-système, populisme de gauche ou de droite qui le balaiera à son tour.”
De cette analyse il est vrai particulièrement pessimiste, pour l’instant deux éléments ne se vérifient pas, ou plutôt pas encore.
Le premier, c’est la valeur essentiellement cathartique plutôt que d’adhésion du vote Syriza ; jusqu’à preuve du contraire, le référendum organisé autour des propositions du gouvernement Tsipras avant qu’il ne vire subitement de bord attestait encore un soutien.
Mais, non seulement une poignée de mois à peine après son accession au pouvoir c’est le contraire qui aurait été étonnant, mais surtout le revirement gouvernemental ne permettra pas de savoir si ce soutien à une posture radicale aurait réellement été durable.
Le deuxième, c’est qu’à l’heure d’écrire ces lignes, ce gouvernement n’a pas (encore) été ‘balayé” et que rien ne dit que s’il l’était, ce serait par une autre offre anti-système plutôt que par une droite ou une gauche classiques.
Mais pour le reste, le cas grec laisse clairement percevoir les difficultés pour une dynamique de type ‘syriza” (littéralement ‘gauche radicale”) de passer des paroles aux actes, c’est-à-dire d’affirmer que ‘podemos” (littéralement ‘nous pouvons”) changer le système. Eternel péril de l’incantation lorsqu’elle s’ensuit d’un accès au pouvoir… E t faute de parvenir à le faire – ou au moins à maintenir le cap annoncé et approuvé dans les urnes –, on assiste bel et bien à ce désaveu rapide de la part de toute une partie de la population, et même de membres importants de Syriza (notamment du ministre des finances).
Impossible gestion de crise
Dit ainsi, cela paraît bien rude et même quelque peu dédaigneux face à l’immense difficulté de la tâche pour ces nouveaux gouvernants, qui font ce qu’ils peuvent. Le fait est que même bien ancré à gauche, je ne suis pas ‘gauchiste”. Mais je n’en ai pas moins une sympathie voire une affection certaines pour ces militant-es méritoires qui veulent révolutionner ce système capitaliste incontestablement défaillant. Le problème est par contre de savoir si c’est possible, surtout dans le cadre corseté d’institutions qui paraissent tellement ne pas le permettre, d’abord parce qu’elles ont été établies au coeur (voire dans les intérêts) de ce même système capitaliste, ensuite parce que l’Etat qui est censé les organiser en Grèce est depuis longtemps gangrené. Un mouvement radical peut-il appliquer ses principes à la tête d’un tel système et dans ces conditions, sans s’y noyer lui-même ? Une révolution économique et sociale, au sens propre du terme, ne nécessite-t-elle pas aussi une révolution institutionnelle comme en France en 1789 ou en Russie en 1917 ?
Ces questions, évidemment, me dépassent. Mais elles alimentent chez moi cette sorte d’intuition que nous avons tous par moments, lorsque quelque chose cloche sans qu’on sache trop l’identifier. Et puis surtout, je le répète, je ne peux m’empêcher de penser que le peuple grec comme le peuple espagnol ne donneraient jamais leur chance à ces mouvements anti-systèmes si tout allait bien, en tout cas pour la majorité de la population. Songeons donc à la santé du glorieux parti communiste de Monaco, si tant est qu’il existe.
En Europe, mieux vaut être riche et bien portant
Pour finir, malheureusement sur une note toujours pessimiste (promis en août je parle de pralines à Jojo), au-delà du seul contexte grec presque rédhibitoire par avance, comment penser que Syriza pouvait tenir longtemps avec son programme originel face à la pression extraordinaire de tout un continent ! Si l’on doit continuer à batailler pour une Europe politique, fondée sur une fédération de peuples solidaires et unie par une constitution progressiste, à l’heure actuelle on est bien forcé de subir le diktat de cet écheveau instable, malade des égoïsmes politiques et économiques de ses principaux Etats membres. Dans cet espace sauvage et cynique, le hasard de la naissance prend toute son importance : il vaut mieux naître au bord de la Baltique que sur les rives de la Méditerranée, mais surtout riche et bien portant. Car si l’on a la malchance de naître malade dans les quartiers populaires d’Athènes, on pourra être séduit par les promesses de résistance grecque face à l’Europe, mais on comprendra vite que le temps de Périclès est passé et que le rouleau compresseur du capitalisme européen fait peu cas des malheurs hellènes. Mais bon, accrochez-vous amis de Syriza, car on est moralement avec vous.
Face à tous ces banquiers qui baignent dans leur graisse,
Face au capital qui, tous les jours, nous agresse,
Nous avions vu, joyeux, se rebeller la Grèce,
Et nous avions révé qu’enfin quelqu’un transgresse.
Mais déjà, humiliée, s’est couchée la tigresse,
Et d’Athènes au Pirée est morte l’allégresse.
Bruxelles garde intact son appétit d’ogresse,
Et, encore une fois, la liberté régresse.