Peut-on sérieusement mettre en place des politiques publiques basées sur des considérations de prestige ? Plus qu’une révision en règle des logiques de la toponymie, je m’interroge sur le poids des symboles, dans la ville impériale qui s’apprête à accueillir le G7 comme dans la cité corsaire où le Roi soleil pèse sur les emblèmes républicains.
On le sait, la société actuelle vit, réfléchit, perçoit le monde à l’aune de l’apparence. À la lecture de cette phrase introductive, quiconque me connaît un peu sourira en se représentant les sommets de bon goût vestimentaire ou d’exploits capillaires que j’ai pu atteindre durant ma vie ; mais ce n’est pas de cette apparence-là dont je souhaite parler aujourd’hui, même s’il y aurait beaucoup à dire sur ce que cela peut signifier en termes de modes de production et de consommation.
Biarritz l’impériale
L’apparence que je souhaite évoquer est plutôt celle sur lesquelles peuvent trop souvent se fonder les politiques publiques. Le meilleur exemple local qui me vient à l’esprit est Biarritz.
Loin de moi l’envie de critiquer la ville ou ses habitants, ni de remettre en cause l’attachement légitime que les Biarrots peuvent alimenter à l’égard de leur ville.
Mais il est certains symboles forts qui devraient à mon avis susciter la réflexion, si ce n’est carrément une remise en cause. Je pense notamment à la manière avec laquelle on alimente le souvenir de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie dans la promotion touristique de la cité. Je suis toujours aussi surpris lorsque je passe en voiture au sortir de Bidart, et que je croise sous le panneau d’entrée de Biarritz un panneau blanc frappé d’un grand N couronné et entouré de lauriers, associé au qualificatif de “ville impériale”.
N’étant pas totalement naïf, je sais bien que les politiques touristiques doivent parfois se montrer quelque peu flexibles entre ce qui relève de la commémoration et ce qui relève de la louange, mais tout de même !
Personne ne va contester l’importance qu’a pu avoir le couple impérial pour la renommée de la station balnéaire au milieu du XIXe siècle ; les faits en histoire restent les faits, et ils méritent d’être connus et enseignés.
Mais faut-il pour cela faire des “grands personnages” qui ont fréquenté une ville les figures tutélaires de celle-ci, en particulier lorsqu’ils n’ont rien de particulièrement louable ? Car, au-delà de toute conception abertzale des choses, n’importe quel républicain ne reconnaîtra-t-il pas que nous avons là affaire à un “empereur”, qui doit l’essentiel de sa place dans l’histoire à un coup d’État, et dont le régime eut bien peu à voir avec les fondements de ce que l’on considère aujourd’hui comme une démocratie ? De sorte d’ailleurs qu’il fut renversé pour se voir substituer une République, en l’occurrence la Troisième en France…
Saint-Jean-de-Luz pas (encore) royale
Vous me direz que nous avons le même cas à Saint-Jean-de-Luz autour de la personne de Louis XIV, et comme d’habitude vous aurez raison, quoique personne ne soit encore allé jusqu’à la baptiser “ville royale”…
Mais effectivement, je serai toujours stupéfait de voir la statue équestre du Roi Soleil trôner dans la cour de la mairie luzienne, siège de la démocratie locale. Toujours stupéfait aussi que son énorme portrait écrase le paysage urbain, sur la maison à qui on a osé donner son nom, de sorte que bien peu d’habitants de la cité soient capables de donner sa véritable identité initiale – Lohobiagenea. Quant à la grande place, elle aussi rebaptisée, elle donne lieu à un savoureux quiproquo historique en étant ainsi bordée d’un côté par la rue de la République, et d’un autre par la rue Gambetta – le fameux “commis voyageur de la République”.
Là encore, j’avoue avoir du mal à déterminer la limite entre des souvenirs historiques moralement tolérables et ceux qui le seraient moins. Un roi ou un empereur sentant les livres d’écoliers passent évidemment mieux qu’un dictateur du XXe siècle, dont certains anciens conservent encore la mémoire. Mais alors que penser du rond-point André Dassary à Biarritz, offert à l’impérissable créateur du Maréchal nous voilà ?
Un roi ou un empereur
sentant les livres d’écoliers
passent évidemment mieux qu’un dictateur du XXe siècle,
dont certains anciens conservent encore la mémoire.
Mais alors que penser du rond-point André Dassary à Biarritz,
offert à l’impérissable créateur du
Maréchal nous voilà ?
Ce ne sont que des exemples et chacun jugera, mais j’avoue avoir parfois du mal à ne voir dans tout cela que futilités ou exagération, car l’Histoire comme les mots a un sens. Surtout lorsque tout cela est livré en pâture aux habitants et aux visiteurs sans aucun appareil critique, comme si ne restait effectivement que la gloire et le faste.
Hermione contre patrouille
Noms de rues ou de places, cités royales ou impériales, la course au tape-à-l’oeil va évidemment plus loin, poussée par l’industrie touristique et commerciale. Là encore, j’ai souvent du mal à situer les points d’équilibre. Récemment, le maire de Saint-Jean-de-Luz est parvenu, apparemment gratuitement, à obtenir le passage de la frégate L’Hermione dans la rade. Je m’en réjouis dans un esprit patrimonial et historique, avec la même force que je déplore les 20.000€ que les contribuables luziens offrent chaque année à la Patrouille de France pour ses acrobaties estivales. Et pourtant il paraît que cette dernière fait affluer les foules dans la ville et, surtout, dans ses commerces, parce que le tape-à-oeil ça fait consommer ! Et combien d’autres choses à l’avenant, le plus souvent mues davantage par les nécessités de l’animation commerciale que par une politique touristique ou culturelle.
Projet de société
Je suppose qu’il faudrait des heures pour débattre de ces thématiques sur lesquelles les crispations surviennent aisément. Et pourtant tout ne se limite malheureusement pas à des anecdotes de la vie estivale. Parfois les conséquences sont lourdes en matière de politiques publiques, voire pire.
Ainsi, comment ne pas finir sur l’évocation de la réaction du maire de Biarritz lorsqu’il s’est réjoui de la tenue dans la ville du prochain G7, ne considérant que le prestige et les intérêts commerciaux ainsi espérés ?
Déjà ville des élites mondiales durant le Second-Empire, la cité impériale se réjouit donc de devenir maintenant celle des pays les plus riches, affichant leur toute puissance et leur domination sur le monde.
Là, nous ne sommes plus seulement dans l’innocent affichage, l’indolore apparence, mais bel et bien dans le choix d’un projet de société toujours plus mortifère.
Si encore Biarritz accueillait autant de migrants que de diplomates, histoire d’équilibrer le cynisme du tape-à-l’oeil par un peu d’humanité… Reste à espérer que cela ne donnera pas l’idée de mettre un nouveau panneau Cité G7 aux entrées de ville, ce sera toujours cela de gagné.