Couvrant la période des soixante ans de l’organisation armée basque, un livre publie aujourd’hui huit témoignages de membres d’ETA, — dont quatre femmes — issus de quatre générations différentes. Ils sont extraits d’une enquête réalisée par Caroline Guibet Lafaye, directrice de recherche au CNRS, déjà autrice de deux ouvrages évoqués en 2021 dans ces colonnes : A l’écoute des acteurs de la lutte armée et Ethique de l’engagement politique armé.
L‘universitaire Alexandra Frénot est co-auteure de ce recueil intéressant à plus d’un titre. D’abord du fait de la rareté des ouvrages en français consacrés à ETA. Ensuite parce que la plupart des livres sur le sujet reprennent, dans le meilleur des cas, les déclarations officielles d’Euskadi Ta Askatasuna ou celles de ses dirigeants, empreintes souvent de langue de bois. Rare est la parole de militants qui ont consacré leur vie à notre lutte de libération nationale et en ont payé le prix, toujours énorme.
Dans leur démarche, les autrices font le choix d’une écoute bienveillante et sans jugement a priori, il faut leur savoir gré de cette ouverture à rebours du politiquement correct.
Elles n’indiquent cependant pas les questions qui orientent peu ou prou ces récits et c’est peut-être regrettable.
Mais cela donne un corpus de plus de 200 pages en toute liberté, comme sans filtre. Surgissent ainsi les raisons historiques, idéologiques, subjectives ou rationnelles qui donnent sens à des parcours de vie très chahutés, marqués par un engagement corps et âme, hors du commun.
Apparaissent alors les questionnements, les doutes, les contradictions et les souffrances de militants engagés, faisant preuve de réflexion, d’esprit critique, de sens des responsabilité ou de lucidité. Leurs logiques d’action ne tombent pas du ciel et la restitution partielle du contexte qui a vu naître leur combat est également présente. L’utopie, les errements et les non-dits, parfois une certaine naïveté ou des aveuglements y ont leur part.
Mais ce qui frappe, c’est d’abord le souci d’exigence de la part de femmes et d’hommes qui s’ouvrent sans retenue, à voix nue. Ils lâchent ce qu’ils ont sur le coeur, quelquefois de façon un peu brouillonne, voire cathartique. Ils parlent spontanément avec leurs tripes et nous livrent leur vérité.
Ici, peu de discours élaborés ou soigneusement construits, nous voici plutôt au centre de leurs ressorts sensibles. Cela rend l’ouvrage émouvant et assez unique, même si l’on est en désaccord. Il permet de rencontrer et de comprendre la vérité de l’autre, d’un autre que l’opinion majoritaire en Europe, aveuglée par la violence et les préjugés, ne comprend pas et rejette.
Avec ces récits, nous sommes évidemment à rebours de ce que disait en 2015 Manuel Valls à propos d’attentats « terroristes »: « J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s’est passé. (…) Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». Comme il faut lire le journal de Yoyes pour saisir les enjeux d’un combat et son époque, il faut faire de même avec le livre de Caroline Guibet Lafaye et d’Alexandra Frénod. Ceux qui se pencheront demain sur la « question basque » devront décrypter ces témoignages de près. L’angle choisi par les autrices permettra à l’historien de pénétrer une lutte de libération comme de l’intérieur. La chose est trop rare pour être écartée d’un revers de main.
Caroline Guibet Lafaye et Alexandra Frénot : ETA Euskadi Ta Askatasuna ; témoignages de quatre générations de militantes et militants, Les Editions libertaires, 2022, 220 p. 15€.