Terexa Lekumberri, le souci de la continuité

Terexa Lekumberri, à Ortzaize.

MILITANTES

Izena duenak izana du, ce qui se nomme existe. Elles assurent la logistique en base arrière ou sont en tête de proue, s’occupent des enfants ou d’une entreprise, suivent le collectif ou s’en émancipent, et parfois tout à la fois. Enbata souhaite, par une série de portraits, contribuer à rendre visible le rôle des femmes dans le mouvement abertzale. Chacune aborde son parcours personnel, entremêlé avec le combat collectif, sa vision de l’abertzalisme, la place des femmes dans le militantisme : chaque portrait est un point de vue, aussi subjectif qu’universel.

Cet épisode de la série « militantes » est illustré par Sabina Hourcade.

Si elle n’écoutait qu’elle, elle aurait probablement dit non à ce portrait. Forgée de la culture collective où le « on » transcende le « je« , où l’humilité est une valeur cardinale : pourquoi donc choisir un portrait quand il faudrait en faire mille ? Si elle n’écoutait qu’elle, elle était obligée de dire oui : celle qui, depuis presque vingt ans, capture la mémoire avant qu’elle ne s’évapore, et dont la thèse s’intitulait « Femmes basques et société contemporaine. Rupture et continuité. Étude menée en Pays Basque intérieur : Baigorri et ses environs » ne pouvait qu’être sensible à une série de témoignages de militantes à travers les époques et à travers le mouvement.

Baigorri, l’ébullition

Il y a dans la vie de Terexa un rapport certain à la continuité : dans son village, Ortzaize, où elle est née en 1962 et où elle réside encore ; dans son travail, commencé en 1992 et qu’elle n’a jamais quitté ; dans son engagement militant, invariant depuis qu’elle a 15 ans ; dans sa volonté de faire perdurer la mémoire à travers la collecte de témoignages oraux. « Tous ces gens que je filme sont des témoins de leur temps, et ils sont maintenant au crépuscule de leur vie. Nous sommes à notre tour acteurs de notre temps comme d’autres le seront après nous, et ainsi continue la vie. » observe-t-elle.

Terexa, elle, commence très jeune à être « actrice de son temps » : elle a 15 ans quand elle rejoint le groupe de danse Arrola de Baigorri. « À Arrola, danser ne se résumait pas à lever le pied et point barre. Danser allait de pair avec se demander pourquoi, pour qui on danse, c’était défendre une identité. » Le pied, justement, elle vient de le mettre dans le bouillonnement culturel et politique exceptionnel qui caractérise Baigorri dans la décennie 1970. Elle passe par le Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne (MRJC), le Herri talde de Baigorri (elle y est la plus jeune !), et participe à la première semaine culturelle à Baigorri en 1979 qui donne naissance au désormais incontournable Nafarroaren Eguna. Elle se rappelle la naissance de Denek, la coopérative implantée à Arrosa. Alors que la Mission Interministérielle d’Aménagement de la Côte Atlantique cherche à doter le territoire des équipements touristiques « nécessaires » (sic) et suscite un vent de réactions sur la thématique de la spéculation immobilière ou des emplois précaires, Terexa vit l’ébullition de Baigorri dans cette décennie 1970 comme un sursaut politique, économique, culturel, qui sera son école de formation militante. Cette ébullition rejaillit également sur les villages voisins, dont Ortzaize, son village natal où le comité des fêtes dont elle fait partie sera, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, particulièrement actif en faveur de la culture basque.

Lutter contre l’aliénation

En parallèle, la fille d’agriculteurs poursuit ses études. Si elle part étudier à Bordeaux, elle revient tous les weekends. Continuité, on a dit. Quand elle évoque les années 1980, elle s’assombrit. Disparition de Popo, arrestations des frères Bidart, mort de Christophe Istèque, et bien d’autres. Beaucoup de ceux du groupe de danse Arrola sont morts ou arrêtés parce que membres d’Iparretarrak. « Tu vois, c’est pas de moi, dont il faut faire le portrait« . En 1990, elle soutient sa thèse d’anthropologie, et en 1992, elle rentre à l’Institut culturel basque où elle met en route un guide du patrimoine, puis la première journée du patrimoine à Irisarri.

« On a grandi dans l’idée que l’Histoire se passait ailleurs qu’ici.
Que tout ce qui était important se passait ailleurs.
On a découvert notre histoire,
et le fait qu’elle était tout aussi légitime qu’une autre, très tard. »

À partir de 2007, elle se lance dans la collecte ethnographique de témoignages oraux(1). Sa façon à elle de contribuer à « résister à l’aliénation« . « On a grandi dans l’idée que l’Histoire se passait ailleurs qu’ici. Que tout ce qui était important se passait ailleurs. On a découvert notre histoire, et le fait qu’elle était tout aussi légitime qu’une autre, très tard. »

Terexa Lekumberri a fait sa thèse sur les femmes basques dans la société contemporaine.

Pour elle, « le système éducatif, scolaire notamment, les deux guerres mondiales et tous les outils mis en place par l’administration française ont insidieusement fait pénétrer dans nos têtes une certaine idée de la France, alimentant notre subordination à celle-ci. C’est une forme de colonialisme qui cause beaucoup de mal, encore aujourd’hui… Cette subordination reste profondément ancrée dans les mentalités, jusqu’à paraître normale à la plupart, comme si elle avait toujours existé, comme si nous avions presque oublié qui nous étions. Nous devons nous libérer de cette hégémonie et retrouver notre identité, notre dignité« .

« Bilkura badut »

Le travail, le militantisme, et la famille aussi. Quoique, les trois se mélangent souvent. En 1997, son fils naît. Sa fille, deux ans plus tard. Quand les deux parents sont militants, il faut bien souvent jongler. Au fur et à mesure que les enfants grandissent, ils alternent : lui est président de l’ikastola d’Ortzaize, elle présidente du collège Xalbador, lui rentre au bureau du lycée Etxepare. « Bilkura badut », « j’ai réunion », est la réponse que leurs enfants entendent bien souvent quand l’un d’eux part le soir. Un jour, le fils finit par demander « Mais, c’est quoi une réunion ? – C’est quand on a besoin de décider. – Alors quand est-ce qu’on fait une réunion pour décider de partir en vacances ? » C’est pendant qu’ils fêtent le bac de leur fils sur la terrasse qu’ils se font violemment arrêter par le GIGN, mitraillette à la main. La famille est mise à terre, menottée, embarquée. Les enfants seront libérés au bout de 2 heures, leurs parents passeront plusieurs jours en garde à vue, à Baiona puis à Paris, avec Grazi Etchebehere. On est en 2015, la Conférence internationale de paix d’Aiete a eu lieu en octobre 2011 : des centaines de personnes se mobilisent devant la maison.

Un manteau trop grand

Pourquoi choisir, à travers sa thèse, de s’intéresser aux femmes dans la région de Baigorri ? « Je ne fais pas partie d’une génération spontanée. » Même si la mère de Terexa ne milite pas à proprement parler, elle s’occupe de la kermesse paroissiale, se forme auprès des conseillers agricoles, a même le permis de conduire et amène sa fille en voiture jusqu’au bourg d’Ortzaize pour qu’elle puisse aller danser à Arrola. « On le voit, le rôle des femmes là-dedans, c’est pourquoi j’ai voulu l’étudier de plus près. »

« Il ne suffit pas d’intégrer numériquement des femmes dans certains postes.
Le nombre, à la rigueur, on s’en fout.
C’est une façon d’être, de penser, qu’il faut intégrer. »

Ce qu’elle pense de la place des femmes aujourd’hui ? « Je me rends parfaitement compte qu’il y a un changement de logiciel à opérer. Il ne suffit pas d’intégrer numériquement des femmes dans certains postes. Le nombre, à la rigueur, on s’en fout. C’est une façon d’être, de penser, qu’il faut intégrer. Dans le monde abertzale, on a un pouvoir de transformation sociale énorme, on est très novateurs, sur le logement, l’eusko, les énergies renouvelables, etc, mais il faut qu’on le soit aussi dans notre manière de faire de la politique, là, c’est pas encore gagné. » Elle le remarque : c’est difficile pour les femmes de prendre leur place, même quand on la leur donne. Elle en est un bon exemple, elle qui a toujours répugné à brandir son diplôme, et a vécu avec l’impression d’avoir un manteau trop grand pour elle. Avec l’âge, celui-ci rétrécit, contrairement à ses convictions, « qui gagnent en force chaque jour ». En attendant, « réaliste et active », elle continue son travail de mémoire comme un rempart à la dilution. « La langue, c’est une façon de voir le monde, le pays, la part la plus importante de notre identité collective. Il faut la parler et les bascophones doivent s’y atteler. Il y a encore du pain sur la planche. Pourtant, notre émancipation passe d’abord par là. » Le combat de Terexa, c’est aussi ce patrimoine oral. Nous, on a dérogé à sa règle, on a fait un portrait écrit.

(1) https://www.mintzoak.eus

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