Touché mais pas coulé

L’Edito du mensuel Enbata

Pour la première fois depuis 1984, la Catalogne ne dispose plus d’une majorité de députés abertzale. Ceux-ci totalisent tout de même 43,96 % des suffrages avec trois formations clairement indépendantistes, ce qui était loin d’être le cas avant 2010. Seul Junts, le parti de Carles Puigdemont, gagne trois députés, un exploit lorsque l’on sait qu’il n’a pu faire campagne sur le terrain. L’indépendantisme catalan se fragmente, il passe de trois à quatre formations, avec l’arrivée de l’extrême droite Aliança Catalana qui demeure marginale. Ce sont les formations de la gauche abertzale, CUP et surtout ERC qui chutent lourdement, sans doute au profit du PSOE. Les républicains catalans qui jusqu’alors dirigeaient le pays, paient une usure du pouvoir et les difficultés voire l’inefficacité de leur gestion. Junts leur avait refusé son soutien en cours de mandat, Comuns (mouvance Podemos) venait de les lâcher, les rapports avec CUP étaient toujours épineux et le PSOE maintenait ERC au pouvoir, comme la corde tient le pendu.

La féroce répression espagnole qui depuis huit ans s’est abattue sur les indépendantistes catalans a sans doute contribué à leur affaiblissement. La plupart de leurs cadres politiques ont été évincés par les amendes exorbitantes, la suspension de leurs droits civiques, les années de prison et l’exil. Encore aujourd’hui, 1432 personnes sont inculpées. De quoi refroidir les plus téméraires. La pression judiciaire se poursuit et provoque le récent départ de plusieurs élus en Suisse.

Carles Puigdemont et ses amis ne bénéficient toujours pas d’une amnistie âprement négociée. Obligé de faire campagne depuis la cité d’Elne en Catalogne Nord, où Puigdemont a installé pendant quelques mois son QG, il n’a pu participer à aucun débat public. Le désenchantement, l’apathie et la fragmentation consécutifs à l’échec du processus souverainiste et ses référendums qui n’ont pas abouti à une négociation sérieuse avec le pouvoir central, ont fait le reste. Dans un contexte aussi incroyable et contraint, le résultat global des patriotes catalans au soir du 12 mai demeure exceptionnel. Ils n’ont pas démérité. Carles Puigdemont sort ressuscité de ce scrutin et annonce qu’il tentera d’être élu président de l’exécutif. Il compte sur le soutien d’ERC, de CUP et même sur la bienveillance relative du PSOE, via une abstention partielle. L’exercice s’annonce compliqué et l’ex-président ne se prive pas de dire que son rejet dans l’opposition catalane peut entraîner l’arrêt de son soutien à Pedro Sanchez en Espagne. Simple coup de bluff ? L’avenir le dira.

Le PSOE arrivé en tête n’est guère mieux loti. Son leader local Salvador Illa demeure loin de la majorité absolue de 68 députés. Le soutien de Comuns lui est acquis et il fait les yeux doux à ERC qui pour l’instant traverse une crise interne et ne bronche pas. Salvador Illa envisage aussi de gouverner en minorité, par le biais de majorités ponctuelles. Nous n’entrerons pas ici dans le détail de la procédure de l’élection, mais cette formule est possible, tant le Parlement catalan est composite et permet de multiples scénarios, avec ou sans abstention de telle ou telle formation qui fait baisser la barre de la majorité absolue. Nous devrions en savoir plus le 10 juin, avec l’élection du président du Parlement. Si accord il y a entre deux partenaires, ils se répartiront le pouvoir entre présidences du Parlement et du gouvernement.

Dans ce processus, essentielles sont les questions de calendrier et le télescopage avec d’autres échéances. En particulier celle de l’amnistie effective. Elle devrait intervenir le 30 mai avec le vote du Parlement espagnol. La Cour suprême disposera alors d’un délai de deux mois pour lever les ordres de détention. Au regard de ces aléas, Carles Puigdemont et les indépendantistes peuvent avoir tout intérêt à bloquer l’élection du président catalan et donc revenir aux urnes en octobre prochain. Ce n’est pas à exclure.

Au final, la Catalogne, comme tant d’autres pays européens, apparaît difficilement gouvernable. Pedro Sanchez peut se targuer d’être parvenu à contenir le souverainisme, à provisoirement le stériliser en gelant le conflit par le maintien du statu quo… jusqu’au prochain embrasement. La « pacification » de la région est une victoire dont déjà il se prévaut bruyamment dans sa campagne électorale des élections européennes du 9 juin. Se maintenir au pouvoir en Espagne —même avec une marge de manoeuvre limitée— demeure sa priorité et le brillant équilibriste Pedro Sanchez, tenu au collet par les Basques et les Catalans, demeure le seul à offrir quelques perspectives. Choisir la moins mauvaise des solutions, telle est pour tous l’implacable règle. En ces temps de péril, pour maintenir vivant l’espoir d’une salve d’avenir.

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