Le dernier référendum d’autodétermination en Kanaky a été boycotté par les partis indépendantistes qui en avaient demandé le report en raison des conditions sanitaires et d’un deuil coutumier d’une année. La syndicaliste Mina Kherfi (représentante de l’USTKE (Union Syndicale des Travailleurs Kanak et des Exploités) – Collectif Solidarité Kanaky) retrace pour Enbata les enjeux de ce rendez-vous raté.
Ce 12 décembre 2021, dans les quartiers, les tribus ou les villages, les kanak sont restés chez eux. Ils ont respecté le mot d’ordre des leaders indépendantistes de ne pas participer à ce referendum. C’est le troisième et dernière consultation prévue par les accords de Nouméa, processus de décolonisation progressif signé en 1998. Cette journée avait été placée sous haute tension par le gouvernement français, craignant (injustement) des débordements de la jeunesse kanak ; un dispositif exceptionnel de l’État avait été déployé, 2000 miliaires, gendarmes et GIGN, avaient été appelé en renfort de métropole. On pouvait voir des camions de gendarmes à chaque rond-point de la ville ; alors que le calme et le respect du vote était exemplaire, toutes les organisations indépendantistes avaient appelé notamment la jeunesse à ne pas sortir et à respecter ce scrutin.
Deuil kanak : pas de vote
C’est le mot d’ordre affiché sur les banderoles à travers les villes et les villages. “Deuil kanak, ne votons pas”. Les raisons : la pandémie de covid qui a lourdement touchée la population kanak, a empêché les familles d’enterrer leurs morts dignement. La coutume du deuil est vraiment cruciale pour le peuple kanak, le sénat coutumier avait décrété un an de deuil national kanak. Le confinement adapté (couvre- feu, interdiction de rassemblement, de meeting, etc.) n’ayant pas permis de faire une campagne référendaire sereine, les kanak avaient demandé le report de ce référendum, mais n’ont pas été entendu ; le gouvernement Macron a maintenu la date qu’il avait déjà unilatéralement choisie : le 12 décembre, histoire de ne pas interférer avec les élections présidentielles d’avril prochain et de se débarrasser au plus vite de cet épineux dossier. Alors que l’ancien premier ministre Edouard Philippe s’était engagé, le 10 octobre 2019, à ce que cette consultation se passe après août 2022. Devant ce mépris, ce manque de compréhension et de respect, les indépendantistes avaient lancé leur mot d’ordre de non-participation. L’enjeu de ce dernier référendum était bien trop important pour le brader, les indépendantistes étaient en progression sur les deux referendums précédents, 43 % pour le oui à l’indépendance en 2018, 47% en 2020, il leur manquait un peu plus de 5.000 voix pour accéder à la victoire ; chacun savait que les indépendantistes étaient à deux doigts de l’emporter… La droite et l’État français ont mis un frein à cet enthousiasme.
L’abstention a gagné
Ce 12 décembre, sur les 180.000 électeurs appelés à se prononcer pour ou contre l’indépendance, 103.000 se sont abstenus. De plus, le non à l’indépendance a reculé dans toutes les communes du territoire, moins 5.000 voix. Bien sûr, le soir des résultats, les médias et les partis de droite se sont réjouis d’une victoire du non à l’indépendance à plus de 96 % contre à peine 4% pour le oui, résultats qui ne reflètent en rien la réalité du pays. Et le président Macron de faire un discours le soir même en félicitant le peuple calédonien d’avoir choisi la France. “La France est désormais plus belle avec la Calédonie”, a-t- il lancé, en omettant d’évoquer l’abstention record de 56% ; alors que la participation au référendum de 2020 était de 85 %. Quel mépris encore une fois pour la population kanak ! Les partis indépendantistes ont aussitôt indiqué, par communiqué, qu’ils ne reconnaissaient pas les résultats de ce troisième vote qui leur a été confisqué, jugeant ce scrutin illégitime et invalide. Le président du congrès, l’indépendantiste Rock Wamytan, a même qualifié ce référendum de “bidon” et de “mascarade” : “ceci n’est pas le troisième référendum, c’est celui de l’état français et de ses soutiens en Nouvelle Calédonie, pas le nôtre”.
Énorme gâchis
Après 30 ans d’accords et de négociations pour faire avancer ce processus de décolonisation, le dialogue est désormais complétement rompu avec l’état. Les indépendantistes ont affirmé qu’ils ne discuteront plus avec ce gouvernement et attendront le renouvellement du gouvernement français lors des prochaines élections présidentielles, pour engager de véritables discussions sur l’accession du pays à sa pleine souveraineté ; Ils vont cependant continuer à travailler sur un projet d’indépendance avec les Nations-Unies, la Nouvelle Calédonie étant inscrite sur la liste des pays à décoloniser. Mais ils l’ont dit et répété : jamais ils n’abandonneront leur droit légitime à l’indépendance. Une question de sens de l’histoire, mais qui prendra du temps.