Analyse de la situation en Ecosse après les dernières élections où les partisans d’un nouveau referendum d’autodétermination ont gagné une majorité de 56% du Parlement. Le Royaume-Uni a-t-il vécu ?
“Je prends l’engagement de retourner immédiatement au travail pour continuer de conduire le pays à travers la crise du Covid et, quand le moment sera opportun, d’offrir au peuple d’Écosse le droit de choisir son futur”. C’est en ces termes que Nicola Sturgeon, Première ministre d’Écosse, a promis un nouveau référendum d’indépendance au lendemain de la victoire de son parti, le SNP, lors des élections législatives écossaises du 6 mai dernier.
Une première question brûle les lèvres : le “moment opportun”, c’est quand ?
Pour Boris Johnson, le moment ne sera jamais opportun et convoquer un nouveau référendum serait “irresponsable et téméraire” ; pas question donc d’autoriser une telle consultation que le Parlement écossais n’a pas compétence à convoquer de lui-même. “Boris Johnson devra prendre des mesures légales s’il veut empêcher une nouvelle consultation” rétorque Sturgeon, et s’il ne le fait pas, “ce sera par définition un référendum légal”.
Les unionistes objectent qu’avec 64 députés élus sur 129, les indépendantistes n’ont pas réussi, à un siège près, à obtenir une majorité absolue comme aux élections de 2011 qui avaient été le prélude du référendum de 2014. Mais avec les 8 élus des Verts, qui ont explicitement revendiqué un nouveau référendum durant la campagne, les indépendantistes ont bel et bien une majorité de 56% au Parlement, et donc le mandat populaire pour organiser “l’IndyRef2”.
Ce référendum, Alex Salmond, l’ancien Premier Ministre et dirigeant du SNP qui avait organisé “l’IndyRef1” en 2014, aurait quant à lui, aimé qu’il se tienne dans les 100 premiers jours du nouveau mandat. Brouillé avec Sturgeon à la suite d’accusations d’agressions sexuelles (dont il a depuis été blanchi), Salmond est aujourd’hui à la tête d’Alba, une nouvelle formation indépendantiste qui revendique de “prendre l’indépendance au sérieux” et accuse le SNP de faire partie du “clan des faibles”. Pour lui, c’est une erreur que d’attendre la fin de la crise du Covid : “pour que l’Écosse se remette du coronavirus, nous avons besoin des moyens financiers que seule l’indépendance peut nous accorder”. Les électeurs ne lui ont pas donné raison, et Alba n’est pas parvenu à obtenir le moindre siège.
Brouille de leaders
L’échec électoral d’Alba n’aura cependant pas d’incidence sur la formation du futur gouvernement puisque Nicola Sturgeon avait annoncé qu’elle ne collaborerait pas avec la formation de Salmond ; selon un sondage, 55% des électeurs du SNP auraient d’ailleurs été déçus/consternés d’une alliance avec Alba alors qu’ils étaient 72% à se dire satisfaits/enchantés à l’idée d’une collaboration avec les Verts. Ces chiffres témoignent de l’effet délétère de la brouille des deux leaders et explique en partie le recul sensible de l’option indépendantiste dans les enquêtes d’opinion depuis les records observés en 2020 où elle a culminé à 58% d’opinions favorables ; elle semble être aujourd’hui légèrement minoritaire. Selon le dirigeant travailliste écossais Gordon Brown, ancien Premier ministre du Royaume-Uni, ces oscillations du sentiment indépendantiste montrent “qu’il n’y pas deux Écosse, mais trois”. En plus des blocs indépendantiste et unioniste, il y a un troisième groupe “qui décidera si notre union de 300 ans survit ou s’éteint”. Selon Brown, “devant un choix où on leur demande d’être Ecossais ou Britanniques, la plupart des membres de ce groupe choisiraient la première option” mais, à la différence des indépendantistes convaincus, ils n’ont pas envie d’être forcés de choisir. L’ancien Premier ministre en veut pour preuve que selon un sondage à la sortie des urnes, si 48% des votants ont choisi le SNP aux dernières élections, 73% souhaiteraient une meilleure coopération entre l’Écosse et le Royaume-Uni. On pourra, bien sûr, lui objecter que l’on peut tout à fait être indépendantiste et souhaiter une meilleure coopération avec Londres. Surtout dans un contexte où Boris Johnson s’en prend violemment aux institutions écossaises et n’hésite pas à déclarer que la dévolution de pouvoir au Parlement écossais sous le mandat de Tony Blair avait été un “désastre”, alors que la population écossaise la plébiscite à près de 90%.
Gordon Brown reproche justement à Johnson son “unionisme musculeux qui consiste à mettre plus de drapeaux et à contourner le gouvernement écossais” et “à tenter de prouver” que “l’identité britannique peut vaincre l’identité écossaise”. Il semble cependant peu probable que le Premier ministre anglais prête l’oreille à ces critiques puisqu’il sort renforcé des élections locales et régionales anglaises qui se sont tenues le même jour que le scrutin écossais. Mais pendant que Johnson se grise avec ce succès mineur, les périphéries continuent de s’éloigner : l’Écosse bien sûr, mais aussi l’Irlande du Nord, et même le Pays de Galles où, selon un récent sondage, près de 40% de la population voterait pour quitter l’Union, alors que le courant indépendantiste y a toujours été marginal. Le travailliste Mark Drakeford, Premier ministre du Pays de Galles résume la situation actuelle par une formule lapidaire : “Le Royaume-Uni, tel que nous le connaissons, a vécu”.