L’historien Peio Etcheverry-Ainchart publie un ouvrage éclairant sur Le Pays Basque dans la Transition démocratique en soulignant les différences d’attentes, de résultats et de tempo avec le processus espagnol, en écho aux problématiques politiques et sociales de notre époque.
L’image est parfaite pour illustrer ce que fut le Pays Basque sud dans la transition démocratique espagnole. Le 4 février 1981, le roi d’Espagne Juan Carlos est en visite officielle à la Casa de Juntas, dans la ville déjà symbolique de Guernica dont le statut définit le nouveau droit des basques. Les députés d’Herri Batasuna bafouent le discours royal en entonnant, poings levés, Eusko Gudariak. Leurs homologues du PNV applaudissent en contre-point le roi pour l’assurer de leur écoute. “Tout est là” résume Peio Etcheverry-Ainchart, auteur de ce nouvel ouvrage historique paru aux éditions Elkar.
Entre les abertzale, largement majoritaires au Pays Basque dès le premier scrutin post-franquiste, le divorce est consommé. Pour longtemps. A l’heure de mettre sous presse, il n’est toujours pas question de rabibochage. Les uns ne reconnaissent pas ce pouvoir. Les autres en acceptent les règles pour négocier, à l’image du premier lehendakari de l’après Franco, Carlos Garaikoetxea, qui souhaitait justement la bienvenue au roi ce jour-là, en lui précisant que cette ville était la sienne. Le roi, qui dans le chahut, pointe son indexe sur ses oreilles comme l’aveu d’une incompréhension, qui devait durer quelques décennies.
Quelques jours plus tard, le 23 février 1981, une tentative de putsch ridicule enterre la tradition des coups d’Etats militaires au Parlement de Madrid sur un énigmatique “se sienten coño !” qui fait se poiler une Espagne libérée. Car la transition démocratique est en marche en Espagne, posant avec frénésie, précipitation, maladresse et mauvaise foi, les jalons d’un système parlementaire qui, quarante ans plus tard, est encore au centre des enjeux politiques et sociétaux.
Comme cette constitution de 1978, brandie aujourd’hui par Madrid pour stopper l’émancipation catalane. Ou cet enfouissement du franquisme dans la société moderne, silence contraint qui retient toujours la parole.
Mais si cette période charnière de l’histoire espagnole, généralement définie entre la mort de Franco en 1975 et l’élection de Felipe González en 1982, est largement documentée et citée à l’exemple, elle concerne de manière distincte le Pays Basque sud.
Pour évoquer Le Pays Basque dans la Transition démocratique, l’historien Peio Etcheverry-Ainchart (également contributeur de ce journal), prend justement un contretemps, antérieur à la mort du caudillo et bien postérieur à l’arrivée au pouvoir d’un socialiste à la tête du gouvernement espagnol.
Constructions identitaires
C’est qu’au Pays Basque, la société n’a pas attendu la mort du dictateur pour entamer sa mue, à l’image des ikastola qui ont commencé à éclore dans une dictature vieillissante, des mouvements artistiques d’ampleur ou des “constructions identitaires” éparses, dans le sillage par exemple des deux équipes de foot emblématiques du Pays Basque qui confortaient l’irrédentisme basque en trouvant les filets forcément bien gardés du Real Madrid.
Mais si l’auteur, dans cet ouvrage de références, a voulu montrer que cette longue transition n’est “pas que politique”, elle commence aussi avec les premiers morts, en 1968, de l’ETA et s’achève à la fin de la logique purement militaire du conflit basque, en 1988, lorsque l’organisation armée et l’Etat espagnol admettent la possibilité d’une négociation.
C’est aussi l’année du pacte de Ajuria Enea dans lequel le PNV s’engage, avec la plupart des partis représentés au Pays Basque, à éradiquer l’ETA, marquant un point de non retour avec la gauche abertzale.
Avec l’achèvement du statut d’autonomie basque en 1985, c’est ce temps qu’il a fallu au Pays Basque pour prétendre à une transition qui fut moins heureuse qu’en Espagne et dont la constitution n’est adoptée que par une minorité de près de 35%.
Une période charnière de notre histoire que l’auteur s’est appliqué à résumer en révélant tous les liens qui mènent à notre époque et en songeant à “ceux qui sont nés après 1985 et ne connaissent pas cette histoire”. Ils en ont pourtant l’écho aujourd’hui.