Textes dits lors de la messe des obsèques de Jakes Abeberry, le 5 décembre 2022, ainsi que lors de l’hommage public qui lui a succédé.
Aña Mari Grenié
« Un être d’exception… notre Pays Basque a perdu un homme d’exception, un guide, un visionnaire, un constructeur ». Ces mots ne sont pas de moi mais, vous l’admettrez, pourraient très bien s’appliquer à l’homme que nous accompagnons aujourd’hui. Ces mots, Jakes me les avait dictés début juin 2021 pour son avant-dernier éditorial d’Enbata. Il rendait hommage à Mixel Berhocoirigoin, le paysan-syndicaliste, l’artisan de paix, l’ami. Celui-là même qui avait voulu associer Basques des villes et Basques des champs pour construire ensemble un nouveau pays.
Est-ce justement parce qu’il était de la ville que Jakes prit tout jeune conscience de la débasquisation galopante du pays ? À la fin de la seconde guerre mondiale, à Biarritz, certes l’on chantait et l’on dansait basque, mais on l’entendait beaucoup moins parler. Et, en octobre 1949, au lendemain du crash de l’avion qui menait Marcel Cerdan à New York, Jakes eut une révélation de la situation tragique du Pays Basque. Cinq bergers basques avaient également péri dans ce crash. On n’en parlait guère. Mais ces bergers symbolisaient le drame d’un pays qui était en train de se vider de sa jeunesse.
Jakes devenait alors « abertzale »… il avait choisi sa patrie et nourri des convictions qu’il partageait avec les fondateurs d’Enbata. Rien d’évident pour la société basque de l’époque et l’expression « Enbata zikina! » est restée dans les mémoires. Il en fallait du courage, de l’obstination et de l’abnégation.
Ces histoires, je les entendais maintes fois dans notre bureau partagé de la mairie de Biarritz. La contrainte du temps m’oblige à passer sous silence des décennies de réunions, de campagnes électorales, de manifestations, de pétitions, de distribution de tracts, de rédactions d’Enbata….
Et nous voilà à partir de 1991 et pour 18 ans dans ce bureau de deuxième adjoint au maire de Biarritz, délégué à la culture puis plus tard aux « Grands travaux ». Autant le dire ce ne fut pas un long fleuve tranquille ! Mais ô combien passionnant. Et puis aussi : heureux ! Il aimait tant rire ! Sur le plan politique, il était devenu pour le monde médiatique, « l’incontournable Abeberry ».
Pour le monde abertzale, et tout particulièrement pour ses « adixkide », sa famille politique de Biarritz Autrement, tel le phare de Biarritz, il était notre guide. Peio Etcheverry-Ainchart l’a qualifié d’Aitatxi de tous les abertzale. D’une intelligence lumineuse jusqu’au dernier souffle. Son avis était attendu, écouté, parfois redouté et évidemment souvent contesté. Il aimait passionnément le débat.
À son arrivée « aux affaires » comme il le disait, certains imaginaient qu’il n’y aurait désormais plus que txistu et fandangos dans les rues de Biarritz. Il y en eut, bien heureusement et je cite au passage, la création de la Banda municipale de txistu avec Iñaki Urtizberea, l’harmonie municipale avec André Lassus. Mais la première surprise pour les Biarrots fut de découvrir la création artistique en direct pendant un mois à deux pas d’ici, sur le plateau de l’Atalaye, avec 10 sculpteurs dont 4 Géorgiens inoubliables. Ce fut le premier Temps d’Aimer les Arts, Temps d’Aimer qui devint plus tard le Temps d’Aimer la Danse. Culture d’ici, culture d’ailleurs, culture universelle.
Dès le départ, afin d’organiser festivals et événements culturels en tout genre, il créa Biarritz Culture. Mais au-delà de l’activité intense de Biarritz Culture, Jakes était en relation avec tout le tissu culturel biarrot. Tout l’intéressait. L’histoire et la préhistoire de Biarritz. Depuis les grottes souterraines du plateau du phare jusqu’au musée historique de Biarritz, la crypte de cette église qu’il transforma en lieu d’exposition. Le Colisée rénové pour le théâtre, le cinéma, le chant, la danse, la musique, les arts plastiques, je ne peux tout citer. Mais le plus important, je crois, c’était qu’il était à l’écoute de tous, attentif à la plus modeste des associations. Jakes respirait Biarritz, vivait Biarritz, il portait en lui son histoire et imaginait son avenir.
Évidemment, son action et celle de ses colistiers abertzale se porta naturellement vers le monde culturel basque et en tout premier lieu la défense de l’euskara. L’ikastola, la crèche bascophone, les locaux d’AEK, la signalisation bilingue, la création d’un bureau de la langue basque, les fonds basques de la médiathèque, entre autres…
Enfin, je ne peux oublier les nombreuses interventions publiques ou discrètes en soutien aux militants basques pour lesquels il avait un profond respect. Jakes était passionné de politique, de politique basque en premier.
Et le 2372e édito d’Enbata, son dernier, s’adressait à la jeunesse : à 92 ans Jakes comprend et soutient encore leur radicalité. Mais prévient : pour vaincre, il nous faut convaincre. Et respecter l’autre.
Le respect de l’adversaire politique, il y tenait. L’attaque visant les idées, non les personnes.
À quelques semaines de son départ, il me réclamait encore tous les documents afférents au congrès d’Euskal Herria Bai qui vient d’avoir lieu ce 26 novembre. Je veux d’une manière ou d’une autre y participer, me disait-il. Je voudrais connaître les tendances…
Ce 26 novembre à Bayonne, la photo est belle…les jeunes reprennent le flambeau. Gu sortu ginen enbor beretik sortuko dira besteak, burruka hortan iraungo duten zuhaitz-ardaska gazteak.