Ces derniers conseils communautaires semblent marquer un tournant pour la Communauté d’Agglomération Pays Basque. Après une longue période de gestation qui a permis de créer le premier échelon institutionnel, quelques indices laissent entrevoir une nouvelle séquence orientée vers une progressive politisation de la récente institution. Cette dynamique impacte déjà un certain nombre d’acteurs qui s’adaptent à la nouvelle réalité institutionnelle du territoire.
Les fondations faites, ces derniers mois ont été l’occasion de discuter les aménagements intérieurs de la “maison commune” à commencer par la création de groupes d’élus. D’aucuns redoutent maintenant que les colocataires qui l’avaient pourtant bâtie ensemble fassent chambre à part.
À ce niveau, le risque principal serait plutôt de creuser des clivages tels qu’ils condamneraient les acteurs politiques à des luttes intestines visant à ne se disputer que les quelques miettes qui ont été âprement gagnées plutôt que d’aller chercher le reste du gâteau par des fronts dépassant la somme des parti(e)s. Certains estiment que la coquille institutionnelle qui embrasse le périmètre du Pays Basque Nord est déjà trop pleine. Pourtant, les enjeux auxquels le Pays Basque Nord est confronté en ce moment même, montrent que les limites — déjà atteintes par la CAPB— doivent être repoussées et que notre appareillage institutionnel reste encore largement à remplir en compétences, mais aussi en moyens.
Un nouveau sujet politique
Cela étant dit, tout en veillant à maintenir l’édifice et planifier de futures extensions ou déménagements, il est des sujets où la paix des ménages ne peut régner durablement. La Communauté d’Agglomération est une instance au mode de gouvernance très particulier. Elle incarne malgré tout, une instance décisionnelle, une arène, dans laquelle les visions sur l’avenir du territoire et de ses habitants vont irrémédiablement se confronter.
Mais la construction progressive de la Communauté d’Agglomération comme sujet politique n’influe pas seulement sur la politisation interne de ses élus ; elle entraîne simultanément une transformation des acteurs sociaux qui tendent à s’adapter à ce nouvel environnement institutionnel.
Les organisations locales se sont créées et déployées sur un territoire précisément caractérisé par l’absence d’outillage institutionnel permettant de répondre aux aspirations spécifiques de la population. C’est un des facteurs explicatifs du bouillonnement social et de l’auto-organisation sans nulle pareille. La présence d’une instance décisionnelle aux pouvoirs certes limités, mais pouvoirs quand même, change considérablement la donne et même si l’on n’en mesure pas encore tous les effets, on peut d’ores et déjà, observer certaines tendances.
Effets structurants de la CAPB sur les acteurs du territoire
Un certain nombre d’acteurs associatifs ou de mobilisations se sont déjà tournés vers la CAPB pour satisfaire leurs revendications, obtenir un appui politique ou un soutien financier. Mais la progression de l’institution vers l’incarnation du sujet politique principal du territoire entraîne aujourd’hui d’autres effets encore plus structurants.
Un de ces effets est qu’elle tend, de plus en plus, à rythmer l’agenda des organisations associatives et des mobilisations populaires. Le Conseil de Développement du Pays Basque en est le cas paradigmatique puisqu’il est devenu un organe rattaché à la Communauté d’Agglomération qui s’est vu attribuer de facto une mission de veille dans la conception et l’évaluation des politiques publiques.
Autre exemple éloquent, la question du logement qui connaît ces derniers temps une résurgence aussi tonitruante que la situation est révoltante. Or c’est la mise au débat du Programme Local de l’Habitat qui a été l’étincelle du dépoussiérage de cet axe revendicatif en veille, après plusieurs décennies de lutte ardente. L’ensemble des schémas stratégiques étudiés et des moments d’orientations forts de la Communauté d’Agglomération pourraient ainsi constituer autant de rendez-vous potentiels de mobilisation des acteurs locaux.
L’autre effet structurel de la création de la Communauté d’Agglomération en tant que sujet politique est de contribuer à une réorganisation des acteurs sociaux et politiques à l’échelle du Pays Basque Nord.
L’autre effet structurel
de la création de la Communauté d’Agglomération
en tant que sujet politique
est de contribuer
à une réorganisation des acteurs sociaux et politiques
à l’échelle du Pays Basque Nord.
Le collectif Elkartasunak Eraiki – Bâtir les solidarités, qui a participé au débat sur le PLH, est un des exemples de cette reconfiguration. Créé en 2018, il fédère les associations du Pays Basque Nord qui oeuvrent dans le champ social et médico-social et dont une partie des membres avaient auparavant une action hyper localisée à l’échelle de leur commune. Mais cette reconfiguration territoriale se manifeste aussi par l’intérêt croissant en direction de la CAPB de la part des organisations qui se déployaient auparavant prioritairement à l’échelle du département des Pyrénées-Atlantiques et dont la création d’antennes locales se multiplie depuis plusieurs années. L’exemple le plus récent vient du collectif de représentants d’organisations professionnelles initié par André Garreta, qui s’est insurgé contre l’augmentation de la fiscalité locale. La presse qualifiait ce collectif d’“inédit” et, à vrai dire, c’est effectivement sa composition et non sa position qui était inédite… On y trouvait notamment une large liste de représentants des chambres consulaires et des organisations telles que la CA64, la CMA 64, la CPME 64, UIMM Adour Atlantique, le SDHPA 64, U2P 64, BTP 64…
La montée en compétence de la Communauté d’Agglomération ouvre une zone d’enjeu, au moment même où la reconfiguration de la carte institutionnelle tend à faire reculer l’échelle départementale. Nous pourrions à l’avenir assister à une augmentation de la présence d’organisations professionnelles, associatives ou militantes et à leur pérennisation dans des groupes de pression sur la Communauté d’Agglomération Pays Basque. Cela signifierait aussi que l’échelle territoriale du Pays Basque Nord ne serait plus l’apanage des abertzale qui en ont longtemps eu le quasi-monopole et qui ont d’ailleurs largement oeuvré à rompre cette solitude.